L’Afrique à nouveau dans les griffes de la finance

Près de vingt ans après les annulations de dettes souveraines intervenues au début des années 2000, dans le cadre de l’initiative « pays pauvres très endettés », et près de quarante ans après celle de 1982, dite de « crise de la dette des pays en voie de développement », l’Afrique subsaharienne est à nouveau confrontée à l’écueil d’une crise financière. Et, encore une fois, de nombreuses voix s’élèvent pour obtenir l’annulation de tout ou partie de ces dettes, souvent illégitimes. Mais, contrairement à d’autres périodes, la structure de la dette publique des pays d’Afrique subsaharienne a profondément changé. Avec un fait notable : l’émergence du secteur privé, qui a augmenté de 14 points de pourcentage la part des créanciers entre 2009 et 2019.
19 des 35 pays à faible revenu de la zone subsaharienne sont surendettés
En décembre dernier, le Ghana a déclaré un défaut sur une partie de sa dette extérieure, définie par les autorités comme une « mesure d’urgence provisoire en attendant de futurs accords avec tous les créanciers concernés ». Le pays, pourtant tiré depuis plusieurs années par une forte croissance et qui était présenté comme un « bon élève », selon le terme utilisé par les institutions financières internationales, s’est retrouvé face à une inflation de 40% sur la seule année 2022. C’était alors le deuxième pays africain concerné en deux ans, depuis la crise du Covid : fin 2020, la Zambie avait fait défaut sur sa dette estimée à 17,3 milliards de dollars (15,6 milliards d’euros à l’époque), dont la moitié est détenue par des Chinois. banques. Cela donne lieu à des jeux géopolitiques (voir encadré) : le 23 janvier, lors d’une visite dans la capitale Lusaka, la secrétaire d’État américaine au Trésor, Janet Yellen, avait souligné que « de nombreux pays africains sont désormais en proie à une dette insoutenable C’est un problème indéniable ». Selon le directeur Afrique du FMI, Abebe Aemro Selassie, 19 des 35 pays à faible revenu de la zone subsaharienne sont surendettés. Et des poids lourds du continent comme le Nigeria, le Kenya ou l’Ethiopie , s’ils ne sont pas menacés de défaut, ont néanmoins vu leurs notes financières dégradées par les agences de notation.
Le « rôle croissant des créanciers privés »
Le 18 février, lors du sommet de l’Union africaine (UA), à l’occasion de son discours d’investiture, le nouveau président tournant et chef de l’Etat des Comores, Azali Assoumani, a plaidé pour une « annulation totale de la dette africaine, pour permettre une reprise de l’économie post-Covid et pour faire face aux impacts négatifs de la guerre en Ukraine ». Et de rappeler que, selon la Banque mondiale, 22 pays du continent sont « en situation de détresse au regard de leur dette ».
Le problème est que la structure de la dette a considérablement changé. Selon une note de la Direction générale du Trésor (DGT), publiée en janvier 2022, le fait majeur réside dans le « rôle croissant des créanciers privés ». Les dettes publiques peuvent être de trois sortes : bilatérales (envers un pays), multilatérales (envers des organismes comme le FMI, la Banque mondiale ou l’UE), enfin celles dites « commerciales », envers le secteur privé. Selon l’analyse de la DGT, la part de ces dernières est passée de 29% en 2009 à 43% en 2019. Dans le même temps, la dette bilatérale est passée de 34% à 26%, et multilatérale de 37% à 31%. Cependant, les créanciers privés, en plus d’appliquer des taux d’intérêt presque deux fois plus élevés, n’obéissent pas aux règles de la politique et ne négocient jamais une restructuration. La note pointe notamment le danger des fonds vautours : selon la Banque africaine de développement, « au moins 20 pays pauvres très endettés ont été menacés ou ont fait l’objet de poursuites judiciaires entre 1999 et 2016 ». Selon la DGT, qui tire la sonnette d’alarme, ces « fonds d’investissement militants rachètent les dettes de différentes structures, avec une forte décote, avant d’être remboursés à plein prix ». Avec l’objectif de « valeur ajoutée ou compensation légale ». Les grandes entreprises détiennent ainsi des pans entiers de la dette des pays africains : c’est le cas du géant minier Glencore, avec un tiers de celle du Tchad, ou du fonds BlackRock en Zambie.
Le 27 février, des militants de trois ONG – Attac, Extinction Rebellion et Youth for Climate – ont été interrogés sur le sujet devant le ministère de l’Economie, à Bercy. « L’endettement de ces pays permet de maintenir cette opération et les place sous la coupe des grands donateurs », a souligné Jean-François Guillon, membre du bureau Attac. Ils ont exigé, comme beaucoup d’ONG et d’Etats africains, une annulation de cette dette. Comme celui de l’Allemagne en 1953.
Quelques repères
45%
Il s’agit de la part de la dette des pays d’Afrique subsaharienne détenue par des créanciers privés.
57,3 %
Il s’agit du taux d’endettement moyen des pays d’Afrique subsaharienne. Il était de 50,4 % en 2019 et de 33,5 % en 2015.
62%
C’est la part de la dette bilatérale des pays africains détenue par la Chine. Ramené à l’ensemble de la dette continentale, ce chiffre est de 12 %.
1071
C’est, en milliards de dollars, la dette extérieure totale des pays africains.
Grb2