« L’accord entre la Russie et la Corée du Nord, une étape de plus dans la création du front anti-occidental »
FIGAROVOX/TRIBUNE – Après l’accord signé entre Vladimir Poutine et Kim Jong-un le 19 juin, l’Europe doit « renforcer son architecture de sécurité » pour contrer cette alliance euro-asiatique à laquelle il faut ajouter la Chine, plaide le directeur de recherche à l’Institut Thomas More, Laurent Amelot .
Laurent Amelot est directeur de recherche à l’Institut Thomas More.
Le 19 juin, le président russe Vladimir Poutine et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un ont signé un accord bilatéral global de coopération stratégique qui stipule notamment que Moscou et Pyongyang s’entraideront en cas d’« agression » contre l’un des deux. . Cet accord remplace celui signé en 2000, lors de la dernière visite de Poutine en Corée du Nord, qui lui-même succédait au Traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle de 1961 entre l’Union soviétique et la Corée du Nord, qui contenait également une clause obligeant l’Union soviétique à fournir une assistance. à la Corée du Nord en cas d’attaque contre son intégrité territoriale et sa souveraineté.
La visite de Poutine à Pyongyang s’inscrit dans une triple logique. D’une part, cela marque un alignement complet de la Corée du Nord sur les positions de la Russie, Kim Jong-un apportant le plein soutien de Pyongyang à « l’opération militaire spéciale » russe en Ukraine et à la nécessaire préservation de l’intégrité territoriale de la Russie. Ce soutien n’est cependant pas sans compensation. Si la Corée du Nord reconnaît explicitement les annexions russes sur le territoire ukrainien, elle attend aussi un plein soutien politique et opérationnel de la Russie dans un contexte de tensions accrues sur la péninsule coréenne, légitimant par ailleurs ses provocations envers le Sud.
D’autre part, elle vise à alimenter les craintes d’un nouveau conflit dans la péninsule coréenne, poussant les États-Unis et leurs alliés régionaux à revoir leurs priorités stratégiques, au détriment de l’Ukraine. La Corée du Nord, depuis que la Russie a envahi l’Ukraine, est devenue un fournisseur clé de munitions pour Moscou, facilitant ainsi l’effort de guerre russe. En échange, la Russie consolidait ses positions en Corée du Nord en matière alimentaire et énergétique, et lui offrait un soutien précieux pour moderniser sa capacité industrielle de défense.
La sécurité du continent européen est étroitement liée à celle de la région Indo-Pacifique, et vice versa.
Laurent Amelot
Elle conforte enfin la décision de la Corée du Nord d’abandonner ses efforts de normalisation avec la Corée du Sud engagés en janvier 2024, au moment où le renforcement de ses capacités militaires l’autorisait à poursuivre une stratégie de dissuasion plus coercitive afin de contraindre l’Occident à s’engager dans les armes. contrôler les négociations. En outre, le soutien aux manœuvres nord-coréennes s’inscrit dans la volonté de Moscou de répondre au soutien de l’OTAN à l’Ukraine en élargissant la portée des menaces stratégiques contre les États-Unis et leurs partenaires à des régions éloignées de l’Europe. . Moscou considère en effet que les tensions croissantes sur la péninsule coréenne peuvent jouer en sa faveur, à l’instar de la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza, ou des tensions en mer Rouge ; Ces différents conflits et tensions imposent aux Occidentaux de prendre des positions politiques dont les conséquences sur les plans stratégique, budgétaire et industriel sont loin d’être négligeables.
A l’inverse et au vu des contraintes qu’impose à Moscou l’accord du 19 juin, on peut prédire que la Russie prédit que les tensions dans la péninsule coréenne ne dégénéreront pas en guerre nucléaire ou conventionnelle. La perspective inverse obligerait Moscou à détourner une partie importante de ses ressources de son objectif premier : la victoire en Ukraine. Néanmoins, la Russie veut faire croire aux États-Unis, et plus généralement aux Occidentaux, qu’une guerre à grande échelle est possible, avec toutes les conséquences en termes de stratégie de moyens, de réallocation des ressources et surtout de priorités stratégiques : si pour les Européens, le La question ukrainienne est cruciale, pour les États-Unis, n’est-ce pas l’Indo-Pacifique, avec la Corée du Sud, le Japon, Taiwan et les mers de Chine ?
A cet égard, la création du SQUAD (accord de sécurité conclu en mai entre les États-Unis, l’Australie, le Japon et les Philippines en vue d’assurer la sécurité de ces dernières), préfigurant d’autres mini-accords latéraux de sécurité en Asie, devrait interroger les Européens. sur les contours de leur architecture de sécurité et son renforcement. La poursuite par la Corée du Nord d’actions provocatrices associées aux manœuvres chinoises dans le détroit de Taiwan conforte cette thèse et rappelle que la sécurité du continent européen est intimement liée à celle de la région Indo-Pacifique, et vice versa. Autrement dit, pour contrer l’axe euro-asiatique autour du trio russo-sino-nord-coréen, auquel il est possible d’associer l’Iran, il est impératif de renforcer l’architecture de sécurité sur les marchés occidentaux et orientaux. de l’Eurasie et de coordonner les actions entre ces deux flancs. Ainsi, un rapprochement se dessine entre l’axe euro-atlantique et le théâtre indo-pacifique.
Si Pékin est le principal partenaire économique de Pyongyang et le garant du régime, Moscou dessine les contours d’une convergence stratégique renforcée, que les Chinois tentent de réguler.
Laurent Amelot
Dans ce contexte, la coopération trilatérale entre la Russie, la Corée du Nord et la Chine pourrait être intensifiée, Pékin considérant les actions occidentales dans son « arrière-pays » maritime comme provocatrices. Toutefois, si cette perspective devait s’entendre sur le long terme, les trois membres de cet axe ayant l’ambition commune de réduire significativement l’influence américaine dans la zone Indo-Pacifique, à court et moyen termes, la situation serait plus complexe. . Derrière les apparences, la Corée du Nord est un terrain de compétition entre Chinois et Russes. Si Pékin est le principal partenaire économique de Pyongyang et le garant du régime, Moscou dessine les contours d’une convergence stratégique renforcée, que les Chinois tentent de réguler. La visite à Pyongyang, en avril 2024, d’une délégation comprenant au moins un membre du Comité permanent du Politburo, une première depuis 2019, s’inscrit dans cette logique. Par ailleurs, si Moscou tend à légitimer la posture provocatrice de Pyongyang en l’associant à une coopération renforcée dans des domaines militaires et techniques clés, Pékin reste discret pour ne pas tendre davantage ses relations avec la Corée du Sud et les pays de la région Indo-Pacifique.
De l’autre côté de l’échiquier, la Corée du Sud est divisée. Faut-il plaider pour la retenue et prôner un rapprochement avec la Russie pour rendre inapplicable l’accord du 19 juin 2024 et isoler la Corée du Nord ou au contraire réaffirmer son alignement avec ses alliés occidentaux et, par exemple, lever l’interdiction des ventes d’armes à l’Ukraine ? ? La réponse n’est pas claire. Cela risque malheureusement d’avoir peu d’effet sur les ambitions russes dans la région Indo-Pacifique et au-delà.