« La voix d’une femme est la voix de la justice » : des femmes afghanes chantent pour défier l’interdiction des talibans

En guise de défi, elles se filment en train de chanter, le visage entièrement couvert ou découvert. Des dizaines d’Afghanes participent à une manifestation en ligne contre une nouvelle loi interdisant aux femmes d’utiliser leur voix en public, annoncée la semaine dernière par le gouvernement taliban.

Cette loi, promulguée fin juillet pour « promouvoir la vertu et prévenir le vice » conformément à la charia (loi islamique), a indiqué jeudi le ministère de la Justice des talibans. Elle contient 35 articles avec une série d’obligations, notamment vestimentaires, et d’interdictions pour les femmes, notamment celle de chanter ou de réciter des poèmes en public.

« La voix d’une femme est son identité »

Dans l’une des vidéos, qui aurait été tournée en Afghanistan même, une femme chante, vêtue de noir de la tête aux pieds, un long voile couvrant son visage. « Vous m’avez réduite au silence pour des années à venir », dit-elle, « vous m’avez emprisonnée chez moi pour le seul crime d’être une femme. »

Des groupes de femmes militantes ont publié des vidéos dans lesquelles on les voit lever le poing ou déchirer des photos du chef suprême des talibans, l’émir Hibatullah Akhundzada, qui gouverne l’Afghanistan par décret depuis son bastion de Kandahar, dans le sud du pays. « La voix d’une femme est la voix de la justice », scandent un groupe de femmes militantes dans une autre vidéo.

Sur X, une jeune femme, Taiba Sulaimani, chante en ajustant son voile devant un miroir : « La voix d’une femme est son identité, pas quelque chose qui doit être caché. » « Je chanterai l’hymne de la liberté ! », écrit-elle en légende.

L’opposante iranienne Masih Alinejad, exilée aux États-Unis, a également partagé une vidéo d’elle chantant, en solidarité avec ses « sœurs d’Afghanistan », « l’une de leurs chansons célèbres et poignantes ». « Chantez avec nous, criez avec nous et combattez avec nous contre l’apartheid de genre au XXIe siècle », a exhorté la militante, dénonçant un nouveau texte « effrayant ».

La championne afghane de taekwondo Marzieh Hamidi, qui a quitté le pays à l’arrivée des talibans en août 2021 et a trouvé refuge en France, à Vincennes (Val-de-Marne), a lancé un appel sur les réseaux sociaux contre cette loi et plus largement « l’apartheid de genre » instauré par le régime. « Les femmes doivent se couvrir le visage en public, y compris les yeux. (…) Les femmes n’ont pas le droit d’aller à l’école, de faire du sport, d’avoir un travail. Elles n’existent pas en Afghanistan », a-t-elle fustigé dans une vidéo partagée sur son compte X.

Appelant à la diffusion du hashtag « #LetUsExist », elle a appelé les citoyens à être « la voix de ceux qui sont démunis » dans le pays. « Luttons contre l’apartheid sexuel, luttons pour l’égalité des sexes », a exhorté l’athlète, qui dit rêver de participer aux prochains Jeux olympiques.

Quelques jours avant l’annonce de cette nouvelle loi, la célèbre chanteuse afghane Aryana Sayeed a chanté sur scène au Festival du film de Melbourne en Australie, le 18 août, une chanson intitulée « Song of Freedom », en résonance avec l’actualité de son pays natal.

La nouvelle loi stipule que les femmes ne peuvent pas chanter ou réciter des versets à voix haute en public, ni laisser leur voix sortir des murs de leur maison. « Lorsqu’une femme adulte doit quitter son domicile par nécessité, elle est tenue de couvrir son visage, son corps et sa voix », précise la loi, utilisant le terme juridique islamique « awrah » pour les parties du corps humain qui doivent être cachées.

Les talibans affirment que la loi sera appliquée « avec douceur »

Les femmes et les hommes ne sont pas autorisés à regarder les membres du sexe opposé autres que les proches parents et les chauffeurs de taxi ne sont pas autorisés à transporter des femmes voyageant sans un « mahram » (chaperon, un parent masculin).

L’ONU, des groupes de défense des droits de l’homme et des Afghans ont exprimé leur inquiétude face à cette loi, dont certaines dispositions sont en vigueur de manière informelle depuis la prise du pouvoir par les talibans en août 2021. L’Union européenne s’est dite lundi « consternée » par ce décret, qui porte « un nouveau coup » aux droits des femmes et des filles en Afghanistan.

Les autorités talibanes d’Afghanistan ont dénoncé lundi « l’arrogance » des Occidentaux qui ont condamné la nouvelle loi, affirmant qu’elle était « fermement ancrée dans les enseignements de l’islam ». Mais elles ont assuré lundi que la nouvelle loi serait appliquée « avec douceur ».

« La force et l’oppression ne seront pas utilisées pour mettre en œuvre ces règles », imposées « en faisant appel à la compréhension des gens et en les guidant », a déclaré le porte-parole adjoint du gouvernement Hamdullah Fitrat dans un message vocal partagé avec l’AFP.