A la veille de la visite du Pape à Jakarta, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Cardinal Ignatius Suharyo :La perspective de cette visite remplit de joie toute la communauté catholique d’Indonésie. Mais le pape François est tout aussi attendu par les protestants et les musulmans indonésiens. Sa personnalité unique, sa longue et profonde expérience religieuse, son mode de vie modeste et humble lui confèrent une aura immense qui force le respect de tous. Il est un exemple non seulement pour les catholiques mais pour toute la population indonésienne qui le perçoit comme un homme de foi et un chef religieux à respecter. Nous sommes tous honorés par sa visite.
Quel message attendez-vous de lui pour l’Église et pour l’Indonésie dans son ensemble ?
EST: Pour nous, sa présence est en elle-même un message d’encouragement. Il nous dit que la communauté catholique indonésienne est sur la bonne voie, qu’elle doit mûrir sa foi et approfondir sa spiritualité. Le thème de cette visite est « la foi, la fraternité, la compassion ». La dynamique de vie de l’Eglise catholique en Indonésie peut se résumer en ces trois mots. Cela signifie que le pape les encouragera. De plus, ces thèmes sont facilement accessibles aux autres communautés religieuses du pays car la fraternité n’est pas exclusive aux catholiques mais concerne tous les citoyens indonésiens. De même que la compassion, qui dépasse l’univers catholique. La visite exceptionnelle du pape François touchera toute l’Indonésie.
Justement, comment se passe le dialogue interreligieux en Indonésie où 90% de la population est musulmane ?
EST: Vivre en harmonie avec les différentes communautés religieuses est l’idéal de l’Indonésie depuis son indépendance en 1945. La construction de la Grande Mosquée Istiqlal en face de la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption au cœur de Jakarta en est un symbole éclatant. Et la construction du « tunnel de l’amitié » qui relie désormais les deux édifices religieux renforce encore cet idéal d’amitié et de respect mutuel. Les musulmans ont pour nous un immense respect. Et il est réciproque.
Cependant, tout n’est pas parfait entre les différentes communautés ?
EST: Certes, mais l’Indonésie est un pays immense, composé de multiples cultures, langues, ethnies… et parfois les relations peuvent être tendues d’un endroit à l’autre. Mais dans l’ensemble, nous entretenons de bonnes relations avec les autres communautés religieuses et le gouvernement s’efforce d’encourager et de défendre une cohabitation religieuse pacifique. La violence sur le front religieux a fortement diminué ces dernières années. Ce ne sont pas des conflits religieux mais des manipulations politiques de la religion qui ont joué sur les divisions religieuses. Compte tenu de la complexité de la société indonésienne, on peut dire que les exemples de violence sont marginaux.
Quelle est la place des catholiques, minorité, dans la société indonésienne ?
EST: Nous sommes des citoyens comme les autres, libres de pratiquer notre religion sans restriction. De nombreux catholiques travaillent dans l’administration, parfois à des postes élevés. Comme toutes les autres communautés religieuses, ils ont la même responsabilité de faire progresser l’éducation ou la santé pour préserver l’idéal d’indépendance du pays.
Dans ce contexte indonésien très particulier, quelle est la symbolique de ce voyage papal ?
EST: Cette visite a plusieurs significations pour nous. D’abord, en venant, il reconnaît notre existence en tant qu’Église catholique indonésienne, même si elle est minoritaire, vivante et engagée dans l’Église mondiale. D’autre part, le pape François reconnaît que l’Indonésie est un exemple fort de vivre ensemble entre différentes communautés. C’est une dimension majeure. Je pense aussi que le Vatican veut en savoir plus sur l’islam indonésien, qui n’a rien à voir avec l’islam du Moyen-Orient. Ici, on vit un islam tolérant et le pays surveille de près les influences qui peuvent venir du Pakistan ou d’Afghanistan.
Pour l’Église catholique indonésienne, quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés aujourd’hui ?
EST: On me pose souvent cette question. Vous savez, dans notre pays, il y a beaucoup de lieux de culte et la pratique religieuse est très active. Cependant, il y a beaucoup de corruption, de trafic d’êtres humains, de suicides… Cela veut dire que la foi n’a pas encore réussi à transformer la vie. Les défis de l’Église sont les mêmes que ceux auxquels l’humanité est confrontée : le consumérisme, la post-vérité, la mondialisation, les conflits internationaux. Mais je pense que face à tous ces périls, le dialogue interreligieux saura, à terme, relever ces défis.
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Le plus grand pays musulman du monde
L’Indonésie est le plus grand pays musulman du monde.
– Sur les 280 millions d’habitants, 88% sont musulmans, soit plus de 200 millions de croyants.
– C’est une république dont la constitution garantit la liberté religieuse.
– L’Islam s’est établi dans l’archipel entre le 13eet et le XVIet siècle.
– Deux grandes organisations musulmanes structurent les fidèles en Indonésie :
La Nahdlatul Ulama (Renaissance des oulémas) ou NU, fondée en 1926, incarne un islam traditionnel qui rassemble plus de 100 millions d’adeptes. Elle met l’accent sur les questions sociales et religieuses, moins sur la politique.
Muhammadiyah, fondée en 1912, compterait plus de 95 millions d’adeptes et se concentre davantage sur un islam « moderniste », qui couvre le droit musulman, les femmes, la jeunesse, l’éducation, la santé.
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