Selon le ministère de la Justice, la visioconférence a déjà permis d’éviter plus de 30 000 extractions en 2023. C’est l’une des principales revendications des surveillants après la mort de deux de leurs collègues, tués dans l’attaque d’une camionnette à l’Incarville. poste de péage.
Alors que les auteurs de l’évasion mortelle au péage d’Incarville (Eure) sont toujours en liberté, les blocages dans les prisons se poursuivent, jeudi 16 mai, au lendemain de la réunion des syndicats pénitentiaires avec le garde des Sceaux. Après la mort de deux gardiens lors de l’attaque du fourgon transportant le récidiviste Mohamed Amra, ils réclament notamment « la réduction drastique des extractions en favorisant le recours à la visioconférence des magistrats ou leurs déplacements dans les établissements ».
Le ministre Eric Dupond-Moretti entend répondre à ces demandes, en élaborant « le recours à la visioconférence pour les présentations aux magistrats et certaines audiences ». Autre proposition du ministre de la Justice : « Prioriser les déplacements des magistrats et greffiers au sein des établissements en ce qui concerne les interrogatoires des détenus les plus signalés. » Si la violente attaque survenue en Normandie est rarissime – c’est la première fois depuis 1992 qu’un surveillant pénitentiaire est tué dans l’exercice de ses fonctions – la réponse par visioconférence au problème des extractions judiciaires n’est pas nouvelle.
Le transfert de cette mission délicate du ministère de l’Intérieur à celui de la Justice date de 2009 et de la Révision générale des politiques publiques initiée sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Avant cette date, des extractions étaient réalisées par la police et la gendarmerie. Ces prérogatives ont été progressivement récupérées par les agents pénitentiaires, jusqu’en 2019. Depuis, professionnels et élus, y compris de droite, ne cessent de alerter sur le manque de moyens et de personnels alloués à l’administration pénitentiaire. pour réaliser ces déplacements sensibles. Actuellement, 2 455 agents effectuent les extractions, selon les chiffres communiqués à franceinfo par l’administration pénitentiaire, alors que 3 000 postes supplémentaires avaient été jugés nécessaires dès le début de la réforme. Le ministère entend répondre au manque d’attractivité de la profession en augmentant récemment la rémunération des surveillants et agents pénitentiaires.
Il n’en demeure pas moins que la population carcérale continue d’augmenter, atteignant 77 450 personnes le 1er avril, un record. Certes, les détenus qui nécessitent une escorte de niveau 3, celle mise en place pour Mohamed Amra, et de niveau 4 – un minimum de trois agents pour un détenu transporté, selon la doctrine d’emploi des équipes de sécurité pénitentiaire (lien PDF) – ne représentaient respectivement que 3,3% et 0,1% des personnes incarcérées en 2016 (lien PDF). Mais les magistrats sont régulièrement confrontés à des « impossibilités » de la part du pénitencier, faute d’agents ou de forces de sécurité disponibles, gendarmes et policiers pouvant toujours être sollicités pour les profils les plus à risque.
« Au moment de la création des Centres de Attachement des Extractions Judiciaires (Prej) – en 2011 –, nous avions encore la police en renfort. Plus le temps passe, moins nous en avons, car la gendarmerie refuse de fournir son soutien, faute d’effectifs.déplore auprès de franceinfo Antony Mazoyer, délégué au Syndicat des surveillants pénitentiaires et agent au Prej de Saint-Quentin Fallavier (Isère). « Donc généralement, on part seul, avec un véhicule et quatre agents. » Selon un livre blanc sur les extractions judiciaires publié par le Syndicat de la magistrature en 2019, le taux de refus d’extraire les détenus pourrait atteindre 50 % dans certaines juridictions, obligeant les magistrats à les libérer pour avoir de meilleures chances de les entendre. .
Dans ce contexte, la Chancellerie a développé le recours à la visioconférence. Dès 2017, le ministère soulignait la nécessité d’évaluer « les possibilités légales de favoriser le recours à la visioconférence pour certaines procédures » Et «pour élargir les plages horaires possibles de visioconférence dans les prisons». Initialement réservés à l’audition, à l’interrogatoire et à la confrontation, les moyens de télécommunications ont été progressivement étendus à toutes les étapes de la procédure, de l’enquête au procès, comme le prévoit le Code de procédure pénale. Mais les tentatives de l’exécutif pour aller plus loin grâce à la crise sanitaire ont été recadrées par le Conseil constitutionnel en 2021. Pour respecter les droits de la défense, les Sages ont estimé que la comparution des prévenus devant le tribunal correctionnel nécessitait l’accord de toutes les parties. Lors de la conférence, la vidéoconférence n’est possible que pour les auditions de témoins et d’experts.
En 2023, la visioconférence a permis d’éviter plus de 30.000 extractions judiciaires, souligne la Chancellerie, soulignant que le «la modernisation des équipements est une des priorités» du ministre. Au 1er mai, le nombre de matériels déployés dans les tribunaux et établissements pénitentiaires était de 4.000, contre 2.500 en 2020, ajoute le ministère. Et pour élever «l’augmentation de la qualité du réseau»avec le déploiement progressif du haut débit. « Nous disposons encore d’équipements globalement obsolètes et qui fonctionnent mal », oppose Judith Allenbach, secrétaire permanente du Syndicat de la magistrature. Selon ce juge d’instruction, les interrogatoires en face à face restent indispensables à la « manifestation de la vérité »notamment dans les cas complexes.
« Il serait préjudiciable de renoncer à de bonnes conditions de justice parce que nous ne trouvons pas les moyens d’assurer les extractions. »
Judith Allenbach, secrétaire du Syndicat des Magistratssur franceinfo
Quant au déplacement plus systématique des magistrats en détention, elle avance que « c’est physiquement impossible » en raison de « surcharge du cabinet » juges et la répartition des détenus d’une même affaire dans plusieurs prisons. « Si on multipliait par quatre ou cinq le nombre de juges d’instruction, peut-être aurions-nous le temps d’aller en détention et de procéder à nos interrogatoires »souligne Judith Allenbach.
Un avis partagé par Juliette Chapelle, avocate et présidente de l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus : « La prison n’est pas un lieu de justice. » « Ce qui s’est passé est évidemment dramatique, mais l’un des grands principes du droit est la présentation en personne du justiciable »estime le pénaliste, selon lequel le développement de la visioconférence « ce n’est pas la bonne solution » Et « fonctionne également très mal techniquement ». A titre d’exemple, elle cite un interrogatoire récemment réalisé par vidéo, faute d’escorte. « Nous avons fait ce qui est recommandé par la Cour européenne des droits de l’homme, à savoir un avocat en prison et un au tribunal. Eh bien, ce n’était pas satisfaisant, il y avait beaucoup de : ‘On ne peut pas, tu n’entends pas bien, mets le caméra un peu plus haut. »
De l’avis des syndicats eux-mêmes, la dématérialisation n’est ni l’alpha ni l’oméga du problème. « Même si on augmente le nombre de vidéos, il faudra forcément, à un moment donné, que les détenus aillent au tribunal »observe Ivan Gombert, secrétaire national du syndicat FO des directeurs pénitentiaires, qui milite pour l’attribution de véhicules blindés aux escortes. « La chose la plus rapide à faire est de reconstituer le personnel et d’augmenter les armements »soutient un surveillant pénitentiaire en poste en Bourgogne, qui a procédé à des extractions pendant cinq ans avant de quitter ces fonctions en raison de « manque de moyens ». S’il estime que la visioconférence est « fondamental » pour certains profils de détenus, il estime que cette décision doit rester « Relevant de la compétence du pouvoir judiciaire ».
« Les juges les poussent dans leurs retranchements, perçoivent leurs petites réactions. À travers un écran, ce n’est pas aussi simple.
Un agent pénitentiairesur franceinfo
Cet agent souligne avant tout « la violence qui s’est accrue à l’extérieur, avec des individus plus lourdement armés ». « Durant mes cinq années d’extractions, la camionnette a été suivie à plusieurs reprises par des particuliers. Ils se sont rendu compte que nous avions récupéré ces missions et qu’il était plus facile de nous attaquer »rapporte-t-il.
Le Syndicat des Magistrats fait le même constat. Pour Judith Allenbach, le drame d’Incarville est « surtout un signe de la sous-estimation du pouvoir d’action et de la nocivité du crime organisé ». « Il est probablement nécessaire d’augmenter les niveaux de sécurité des escortes pour bien comprendre la menace »ajoute-t-elle en regrettant que « le crime organisé n’est pas une priorité de la politique pénale française ».