Le plus souvent, il ne s’agit pas de menaces directes. Juste quelques mots laissés tomber à la fin d’un interrogatoire, assez perturbants pour que le juge continue d’y penser en quittant le tribunal. « Un juge d’instruction de région parisienne me confiait récemment qu’avant de quitter son bureau, un prévenu lui avait demandé : « Alors, Monsieur le juge, pour les vacances, vous partez toujours avec vos enfants ? « , » précise Sébastien Colombet, membre de l’Association française des magistrats instructeurs (Afmi). « Avant de retourner en détention, un trafiquant de drogue a récemment dit à l’un de nos juges d’instruction : « Faites votre travail, Madame la juge, je ferai le mien… » confie Olivier Leurent, président du tribunal de Marseille.
Le développement du trafic de drogue fait-il peser de nouvelles menaces sur les magistrats ? Cette question était au cœur d’une décision rendue le 11 juin à Avignon (Vaucluse). Le tribunal correctionnel a relaxé un homme impliqué dans un trafic de drogue, qui était poursuivi pour des menaces proférées en 2022 contre un juge d’instruction de Carpentras. Interrogé en visioconférence depuis sa prison, il a vivement critiqué la décision du magistrat d’incarcérer son frère aux Baumettes à Marseille. « Je veux que tu meurs, je prie pour que tu meures, j’espère que tu auras un accident et que tu mourras »aurait, selon Le Figarolança l’accusé au juge et à son greffier paralysé.
« Mon client s’est excusé par écrit »
L’homme a été déféré au tribunal pour « menaces, violences, actes d’intimidation en vue d’obtenir d’un magistrat qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte ». Selon Me Olivier Morice, l’acquittement a été prononcé parce que le tribunal n’a pas pu démontrer que les propos tenus étaient de nature à influencer une décision du juge. « L’affaire sera jugée en appel avec, je l’espère, une nouvelle qualification relative aux seules menaces de mort », dit l’avocat. «Mon client a été impoli, irrespectueux et il s’est excusé par écrit. Mais il n’a jamais prononcé de paroles menaçantes. répond Me Sylvie Menvielle, l’avocate du prévenu. En tout cas, l’affaire a complètement bouleversé la vie de la juge, la laissant très choquée. « Elle a demandé une mutation, a vendu sa maison et a retiré ses enfants de l’école pour aller travailler loin de Carpentras », explique Me Morice.
Au sein des tribunaux, les menaces ne proviennent pas uniquement des trafiquants de drogue. Aujourd’hui comme hier, les magistrats les plus exposés sont souvent les juges aux affaires familiales, et notamment les juges des enfants. « Nous prenons des décisions sur des sujets très sensibles qui peuvent être vécus comme une remise en cause de la parentalité. Alors parfois, cela peut déborder, le plus souvent verbalement. » note Stéphanie Gasnier, juge des enfants à Limoges (Haute-Vienne) et déléguée régionale de la Cellule de la Magistrature. Au cours des quatre dernières années, il a été directement attaqué à deux reprises. A chaque fois par un parent souffrant du placement éventuel de ses enfants. « Une mère m’a retenu dans mon bureau, a fermé la porte et m’a dit que si je mettais sa fille en prison, elle me tuerait. » dit Stéphanie Gasnier qui, malgré cet avertissement, a mis à ses yeux cet enfant en danger. « Il n’y a eu aucune conséquence pour moi mais ce sont quand même des situations qui m’ont marqué » Elle ajoute.
«Un magistrat s’est fait cracher dessus»
Parfois, la tension ne vient pas des mots mais du regard. « Je n’ai jamais été menacé » confie Grégory Martin-Dit-Neuville, juge d’instruction à Meaux (Seine-et-Marne). « Mais il m’est arrivé que des mineurs, les bras croisés, confortablement assis sur leur chaise, ne me quittaient pas des yeux, il ajoute. Avec défi et en attendant que je baisse les yeux. Il est important de montrer que cela ne vous impressionne pas. » A Marseille, dans les affaires de trafic de drogue, les juges d’instruction constatent aussi qu’il y a beaucoup de tensions lors de nombreux interrogatoires. « Un magistrat s’est fait cracher dessus par un individu qui savait très bien ce qu’il faisait en agissant ainsi », illustre Olivier Leurent. « Nous sentons une inquiétude croissante chez de nombreux collègues. Récemment, un juge d’instruction de Lyon a reçu par courrier des douilles de balles. En Guyane, un membre du parquet a dû être déplacé car il avait reçu des menaces de la part de trafiquants de drogue brésiliens. témoigne Sébastien Colombet.
En mars, Olivier Leurent avait tiré la sonnette d’alarme devant la commission d’enquête sénatoriale sur le trafic de drogue. « Compte tenu de l’importance des réseaux criminels, les risques d’atteinte à l’intégrité physique des acteurs judiciaires luttant contre le banditisme de drogue ne doivent plus être considérés comme virtuels. » dit-il alors. Selon lui, c’est l’évolution des modes opératoires du crime organisé qui amène les juges d’instruction à s’interroger sur leur sécurité. « Aujourd’hui, via les réseaux sociaux, nous recrutons des mineurs qui, pour 10 000 euros, sont prêts à tuer dans la rue des membres du clan adverse. Et nos collègues sont inévitablement interpellés par la facilité avec laquelle ces « contrats » sont exécutés. La vie humaine ne semble plus avoir le moindre prix. » indique à La Croix Olivier Leurent qui, comme beaucoup d’autres, reconnaît avoir été marqué par les violences effrénées et effrénées qui ont coûté la vie à des surveillants pénitentiaires le 14 mai au péage d’Incarville (Eure).