« La vie secrète des vieux », la sexualité choc des seniors décortiquée avec humour et sans filtre par Mohamed El Khatib

Cette pièce est l’explosion de ce Festival. Dans ce spectacle qui navigue entre théâtre et documentaire, nos aînés se confient sans tabou et vous laissent sans voix.

On a pleuré, on a beaucoup ri aussi. Mais surtout, on a du mal à se remettre de ce spectacle explosif. La vie secrète des personnes âgées est une claque. La comparaison peut paraître dure mais elle est de mise. La pièce de Mohamed El Khatib révèle une sexualité qu’on n’imagine pas, celle des seniors. Sur la scène d’Avignon, ils ont tous plus de 75 ans.

Pour parler de leur vie sexuelle, le metteur en scène a choisi un lieu ancien, celui du monastère de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, à 12 minutes en voiture du centre-ville. Un espace empreint de religion et de chasteté dont sa pièce prend le contre-pied. Fondée au XIVe siècle par le pape Innocent VI, la Chartreuse abrite le Cloître des Morts, qui servait de lieu de sépulture aux moines, et le Cloître Saint-Jean, situé dans l’ancienne cour du palais du cardinal Aubert. C’est autour de la grande fontaine de ce lieu somptueux que le public attendait patiemment, sous un soleil de plomb mais dans un calme apaisant, d’assister au spectacle.

La salle voûtée, rafraîchie par la pierre centenaire, s’est transformée en salle de bal. Jacqueline Juin, égérie de la RTBF depuis des décennies, entre en fauteuil roulant. Jean-Pierre allume les lumières de la salle.« Compte tenu de leur âge, les personnes sur scène peuvent mourir à tout moment, comme Dalida. Nous vous invitons à rester calmes. Il vaut mieux mourir sur scène qu’à l’Ephad »Un message sur un écran nous prévient. Hilarité générale.

Jacqueline Juin a aujourd’hui 91 ans et parle toujours aussi bien, c’est pourquoi elle a été choisie par Mohamed El Khatib pour ouvrir la pièce. Elle n’a pas peur de dire son âge ni les désirs qui la traversent comme «  » fais l’amour tous les jours « . Lorsqu’elle parle de la différence entre aujourd’hui et quand elle avait 20 ans, elle dit : « CCe qui me manque, c’est de ne plus embrasser quelqu’un sur la bouche. mais aussi de savoir « que nous existons aux yeux de quelqu’un, que quelqu’un nous manque ».

Le témoignage de Jacqueline et des huit autres anciens est précieux. Le moment restera gravé dans le temps et dans la mémoire de chaque spectateur. L’opportunité de profiter de ce moment unique de partage rend la pièce émouvante jusqu’aux larmes.. Quand Mohamed El Khatib explique que Georges, l’un des protagonistes de la pièce, est décédé lors de sa création, il est impossible de retenir ses larmes même si l’on est prévenu dès le début de la pièce. Impossible aussi de rater une minute de ces discours irremplaçables, que nous n’aurons peut-être pas l’occasion de réentendre, jusqu’à ce que nous fassions nous-mêmes l’expérience de la vieillesse. La pudeur et le tabou qui entourent la sexualité des personnes âgées sont profondément ancrés. Qui en a déjà parlé avec ses grands-parents, par exemple ?

« La sexualité des personnes âgées est un angle mort que ni l’institution ni les familles ne veulent prendre en charge« , explique Mohamed El Khatib dans une interview accordée au Festival. Ce tabou, cet impensé de la société, le réalisateur le renverse avec les discours de ses personnages et leurs expériences. Après une petite annonce, Mohamed El Khatib a recueilli une centaine de témoignages. Avec tous ces seniors, il fait Le tour de leur vie amoureuse, mais surtout une revue à leur âge. Flirter avec le documentaire au théâtre, le réalisateur en a fait sa spécialité. Pour 2025, Mohamed El Khatib en prépare également un, portant le même titre que la pièce.

Il explore ainsi des profils sociologiques variés et des expériences diverses. Comme celle d’un ancien chirurgien de 82 ans dont le mari le trompe, celle d’une bourgeoise catholique qui apprend la sexualité dans les livres, ou celle d’un homme qui l’a apprise auprès d’une prostituée à Tunis.Maman, tu baises encore ? C’est ce que lui a demandé la fille d’une des actrices. Elle n’aurait jamais osé demander ça à sa mère à son époque. Et la réponse à cette question est oui, « avec une mexicaine canon, si elle savait ! ».

Une autre protagoniste ne ressent aucune différence entre les pulsions qu’elle ressentait à 20 ans et celles qu’elle ressent aujourd’hui lorsqu’un charmant monsieur apparaît devant ses yeux. Ces « vieux » parlent sans retenue de masturbation, d’érection, d’orgasme.Je voulais qu’ils portent eux-mêmes leur histoire, sans filtre, avec toute la fragilité que cela implique. »explique le réalisateur qui refuse de « produire un discours attendu sur la vieillesse ».

La mise en scène intègre les besoins de ces personnes âgées présentes sur scène, avec une forme rafraîchissante de lâcher prise.« Ils se déplacent à leur guise. »confie le metteur en scène. Mohamed El Khatib est présent sur scène pour les aider à se positionner ou les lancer. Une manière de les mettre à l’aise en attendant qu’ils s’approprient le spectacle. Une aide-soignante, figure du soin, apporte également son aide et raconte son histoire dans les Ehpad, comme lorsqu’elle a surpris Mme Million à quatre pattes avec sa colocataire, alors que son mari la recherchait.

Ces maisons de retraite où il n’y a ni Arabes, ni Noirs, ni Asiatiques. Yasmine, l’aide-soignante, nous rappelle que ce n’est pas « « Dans nos cultures, nous abandonnons nos aînés dans des structures abusives parce que leurs enfants refusent de prendre soin d’eux. » Mais c’est aussi une question de moyens car ces structures restent coûteuses pour les personnes citées.

La seule protagoniste racisée sur scène est noire. Elle confirme être la seule personne racisée de sa maison de retraite et explique aussi avoir eu son premier orgasme… à 65 ans. Toutes ces personnes d’un certain âge assument et revendiquent leur sexualité qu’elles aspirent à vivre pleinement. L’une d’elles raconte avoir fui sa maison de retraite pour vivre son histoire d’amour.Ce que je veux, c’est me faire baiser. Je ne veux pas mourir sans jouir à nouveau.dit-elle avec force. Dans ces institutions où les désirs affectifs sont peu pris en compte, selon Mohamed El Katib, des drames peuvent survenir. Les enfants d’Anne rejettent sa passion amoureuse avec Jean-Claude. Elle ne supportera pas l’éloignement de son amant et finira par se suicider dans son Ephad. Une sorte de Roméo et Juliette à l’envers ce qui nous semblait impensable jusqu’à la découverte de cette pièce d’utilité publique.

« La vie secrète des vieux » de Mohamed El Khatib à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon jusqu’au 19 juillet
Du Du 12 au 26 septembre 2024 au Théâtre de la Ville et en tournée dans toute la France