La vache et les prisonniers du libre-échange
Entre 2022 et 2024, le prix payé aux éleveurs pour un kilo de carcasse de vache laitière de réforme a baissé de 10 à 15 % en France. Cette baisse des prix résulte principalement d’une utilisation accrue de la viande bovine importée par la restauration collective dans les entreprises et les administrations, ainsi que dans les plats préparés vendus dans les grandes surfaces.
Dans des articles précédents, nous avons montré comment les prix des céréales et de la viande de porc évoluent de manière spéculative, à la hausse ou à la baisse, en fonction de l’offre disponible à la commercialisation. Cela fonctionne toujours sans tenir compte de l’évolution des coûts de production malgré le vote de deux lois Egalim en 2018 et 2021. Cette dernière devrait permettre d’en tenir compte, ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent. En viande bovine, au marché de Cholet le 6 mai, le kilo de carcasse de vache laitière de réforme de race Prim’Holsteins – qui est envoyé au boucher en fin de production laitière – coûte 4,20 €. Elle valait 4,60 € en mai 2023 et 4,80 € en mai 2022. Pour une vache mixte, comme la Normandie qui donne un meilleur rendement en viande, le kilo de carcasse coûtait 3,35 € le 28 mai 2024, contre 4,70 € par an. plus tôt et 4,80 € en mai 2022.
Les explications avancées pour cette baisse des prix étaient centrées sur une baisse de la demande car le manque de soleil pénalise les ventes de pièces nobles à griller au barbecue. Mais en « La France agricole » du 31 mai, il était indiqué que les importations de viande bovine représentent désormais 23,7% de la consommation en France alors que notre pays est le premier producteur de viande bovine parmi les pays membres de l’Union européenne. Il possède un grand troupeau de vaches laitières et un autre composé de vaches allaitantes de races Charolaise, Limousin, Blonde d’Aquitaine et quelques autres qui allaitent directement leurs veaux.
Des importations croissantes dans la restauration collective
Les explications de la croissance des importations de viande bovine ont ainsi été résumées dans « La France agricole » : La part de la viande bovine importée en France s’élève désormais à 23,7 % de la consommation totale de viande de gros bovins (1,007 millions de tonnes équivalent carcasse en 2022). Cette part est en augmentation constante depuis trois ans. Cette hausse résulte principalement de la demande de restauration hors domicile, mais également de plats préparés vendus par la grande distribution. Cette dernière représente 56 % des lieux d’achat de viande bovine. À 28 %, la restauration hors domicile a vu sa part des achats augmenter de 4 points depuis 2017. Toutefois, plus de la moitié de ses approvisionnements sont importés, expliquant une bonne partie de la hausse des importations globales de viande bovine.
Les importations de carcasses de vaches laitières de réforme proviennent principalement d’Irlande et de Hollande. La Hollande est en même temps un grand importateur de tourteaux et autres aliments du bétail en provenance du continent américain pour nourrir les vaches laitières, les porcs et les volailles ; ce qui augmente l’empreinte carbone de chaque gratuit de lait et de chaque kilo de viande produit dans ce pays. Concernant les importations de viande bovine en provenance de pays tiers, elles sont principalement fournies par le Canada, le Brésil et l’Argentine suite à la conclusion d’un accord de libre-échange entre la Commission européenne et ces pays. La France les applique sans les faire ratifier par le Parlement. Le 30 juin, l’Assemblée nationale a adopté, à l’initiative d’André Chassaigne, député communiste du Puy-de-Dôme, une résolution invitant le gouvernement à permettre au Parlement de se prononcer sur le CETA, cet accord de libre-échange. -échange entre l’Europe des 27 et le Canada qui est appliqué depuis 2017 sans avoir été approuvé par le Parlement (1).
Les farines animales font encore engraisser les bovins canadiens
Le même jour, Patrick Bénézit, président de la Fédération nationale bovine (FNB) de la FNSEA et des éleveurs de bovins charolais bio du Cantal, dénonçait les importations de viande bovine canadienne sans droits de douane en ces termes : « les éleveurs dénoncent depuis de nombreuses années des importations de produits qui ne respectent pas les mêmes conditions de production que les nôtres. Après avoir souligné que le Canada utilise des farines animales pour engraisser les bovins de boucherie alors qu’elles sont interdites en Europe, suite à la maladie de la vache folle à la fin du siècle dernier, Patrick Bénézit a ajouté : « il est inacceptable que des accords commerciaux facilitent encore cette concurrence déloyale, sans prendre en compte compte de la nécessité de réciprocité des normes.
Car ce manque de réciprocité introduit une distorsion de concurrence. Car cette utilisation accrue de viande importée dans la restauration collective, ainsi que dans les plats préparés vendus en grande surface ou livrés au domicile d’un nombre croissant de consommateurs, contribue à réduire les débouchés de la production nationale. C’est la principale explication de la baisse du prix du kilo de carcasse de vache de réforme de -10 à -15% en deux ans dans les salles de cotation.
Ce n’est pas en poursuivant sur cette voie que l’on préservera désormais la souveraineté alimentaire, inscrite dans la fonction officielle du ministre de l’Agriculture Marc Fesneau.
- Voir Humanité du 31 mai à la page 9