la tyrannie des mots de passe
jeean-Pierre tente de rester calme. Assis devant l’ordinateur, il se rend compte qu’il a mal au dos, que sa nuque est bloquée, qu’il a du mal à respirer. Depuis combien de temps est-il là, à hurler devant l’écran ? À portée de main, une feuille de papier, sur laquelle il a déjà noté plusieurs éléments. Mais rien ne va. Rien ne marche.
Il entend déjà la voix moqueuse de son fils, qui lui avait conseillé à plusieurs reprises…
jeean-Pierre tente de rester calme. Assis devant l’ordinateur, il se rend compte qu’il a mal au dos, que sa nuque est bloquée, qu’il a du mal à respirer. Depuis combien de temps est-il là, à hurler devant l’écran ? À portée de main, une feuille de papier, sur laquelle il a déjà noté plusieurs éléments. Mais rien ne va. Rien ne marche.
Il entend déjà la voix moqueuse de son fils, qui lui avait conseillé à plusieurs reprises d’utiliser un gestionnaire en ligne spécial pour ne pas se retrouver dans le pétrin qu’il subit ce matin. Son fils, qui lui avait aussi dit qu’il devait penser à changer régulièrement les mots de passe de ses espaces bancaires personnels, fiscaux, de sécurité sociale, de mutuelles et de tant d’autres.
La proie idéale des hackers en deux minutes chrono, toutes leurs économies siphonnées en un clic, leurs données personnelles revendues sur le dark web
Jusqu’à présent, Jean-Pierre n’avait pas prêté attention à ces codes qui lui donnaient accès en ligne à ses comptes. Il les trouvait « au hasard », du bout des doigts : un mélange de ses initiales et d’une série de chiffres. Il appliquait la même formule à chaque site pour ne pas avoir à les noter. JP1234567 ou jipe0000. « Crétin ! » avait dit son fils. La proie idéale pour les hackers en deux minutes chrono, toutes ses économies siphonnées en un clic, ses données personnelles revendues sur le dark web. Jean-Pierre avait peur. C’est vrai qu’en ce moment, l’actualité regorge d’histoires dramatiques de gens ordinaires qui se font voler en ligne.
Alors, il prend le taureau par les cornes. A l’approche des vacances, pas question de reporter tout ça à la rentrée. Son fils lui avait stipulé : « Ton mot de passe doit être suffisamment long et complexe, intégrant des lettres – majuscules et minuscules -, des chiffres, des ponctuations, des caractères spéciaux. »
« Votre mot de passe est trop long. » « Votre mot de passe est trop court. » « Votre mot de passe doit contenir des caractères tels que @%*?! »
Jean-Pierre n’est pas un maladroit du numérique, loin de là, mais ce matin, il a l’impression d’être le dernier du cours : une sensation parfaitement désagréable, alors que dehors, sur la terrasse, sa compagne fait ses exercices de yoga, le soleil brille, le ciel est d’un bleu doux. Le petit déjeuner devra attendre. Il va devoir avancer dans cette tâche délicate.
« Votre mot de passe est trop long. » « Votre mot de passe est trop court. » « Votre mot de passe doit contenir des caractères comme @%*?! » « Votre mot de passe doit contenir des majuscules ET des chiffres. »
Jean-Pierre commence à transpirer. Il recommence. Le prénom de sa mère, une partie de son numéro de portable, suivi de trois points d’exclamation. Il écrit tout en parallèle sur son papier, mais il n’arrive pas à se reconnecter.
« Votre mot de passe ne correspond pas. Après trois tentatives, l’accès à votre compte sera définitivement bloqué. »
« Tu fais la grimace », dit son partenaire. « Mauvaise nouvelle ? »
Jean-Pierre n’entend plus sa voix, tellement il est concentré. Il recommence en soupirant. Le code postal de Guéthary, sa ville natale. L’anniversaire de sa compagne. Les premières lettres du prénom de son fils.
Rejeté. « Trop long. » « Trop court. » « Pas assez de symboles. » Il y revient, les dents serrées. Le nom de leur chat, suivi du numéro et de la rue de leur résidence principale.
Mais soudain, figé, il se redresse. Il se souvient de l’avertissement de Gabriel : « Il faut trouver quelque chose qui n’a absolument rien à voir avec ta vie personnelle. Ils sont capables de trouver des informations sur les réseaux sociaux, de faire des liens avec ton adresse, ton numéro de téléphone, ton numéro de sécurité sociale. »
Il pense à tout ce qu’un hacker, même le plus redoutable d’entre eux, ne pourrait jamais deviner. Cet ancien patron qu’il détestait. Ce médicament au nom barbare qu’il doit avaler tous les jours. Cet ex qui lui avait brisé le cœur. Le vieux parfum de sa grand-mère. La majestueuse villa sur les hauteurs de Bidart, rasée pour y construire une résidence ordinaire.
Jean-Pierre sait qu’il devra un jour demander à son fils comment fonctionne le gestionnaire de mots de passe en ligne, mais pour l’instant, le flot de souvenirs du passé semble être un cadeau inattendu.