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La « taxe EDF », ou comment le gouvernement sortant veut discrètement récupérer quelques milliards aux Français

Comment faire rentrer quelques milliards d’euros dans les caisses de l’Etat au plus vite, sans passer par une hausse d’impôts directs ? Le gouvernement sortant, non content de l’absence de recettes de la « Crim », son mécanisme censé capter les superprofits des électriciens pendant la crise (qui a rapporté 300 millions d’euros en 2023 au lieu des 4 milliards espérés), planche sur un nouvel impôt. Evoqué lundi par Bruno Le Maire lors de sa dernière audition devant la commission des Finances, celui-ci toucherait principalement EDF… qui n’aurait d’autre choix que de répercuter le surcoût sur les consommateurs.

Et si c’était justement toute la stratégie des services de Bercy ? En tout cas, l’idée serait bel et bien de profiter d’une réduction mécanique des factures futures, du fait de la baisse des prix du marché de l’électricité, pour faire passer cet impôt indirect sans même que les Français s’en aperçoivent.

« Plutôt que de payer beaucoup moins qu’actuellement, les ménages paieront un peu moins (si cette taxe était mise en place, ndlr). Cela permettra à l’État de leur soutirer de l’argent sans recourir à un prélèvement obligatoire, maintenant qu’ils sont habitués à une énergie relativement chère », estime Fabien Choné, ancien patron de Direct Energies et ex-président de l’Association nationale des opérateurs de vente au détail d’énergie (ANODE).

Pour comprendre cela, il faut s’intéresser au fonctionnement de ce que l’on appelle désormais la « taxe EDF » – même si elle toucherait, dans une moindre mesure, certains actifs d’Engie et de TotalEnergies. Il s’agirait d’une taxe sur la « puissance électrique installée », visant les installations dépassant 260 mégawatts (MW). C’est-à-dire, en premier lieu, les centrales nucléaires d’EDF (pour environ 80 %), les grands barrages hydrauliques (exploités par EDF mais aussi par la Compagnie nationale du Rhône, dont Engie est l’actionnaire majoritaire) ainsi que les grandes installations thermiques, comme la centrale à gaz de Landivisiau de TotalEnergies. Les éoliennes terrestres et les panneaux photovoltaïques seraient épargnés, aucun champ ne dépassant 260 MW en France.

Le rendement annuel de cette taxe, dont le nouveau gouvernement devra décider s’il l’inclut dans le projet de loi de finances (actuel ou modifié), est estimé à environ 2,8 milliards d’euros. Le tout, en collectant 40.000 euros par MW installé au-delà de 260. C’est une somme énorme. « , commente Nicolas Goldberg, responsable senior énergie chez Colombus Consulting. L’avantage pour l’Etat : il sait à l’avance ce qu’il pourrait récupérer.

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Les consommateurs, victimes collatérales

Et pour cause : il s’agirait d’un impôt de production, complètement déconnecté des revenus générés par les entreprises imposées, et indifférent aux prix du marché. Si vous exploitez une centrale électrique, l’État va regarder sa puissance, la multiplier par un coefficient et cela vous donnera une taxe que vous paierez chaque année, que les unités en question fonctionnent à 5%, 10% ou 50%, et que les prix de marché soient élevés ou bas. Autrement dit, le simple fait d’avoir un actif de production en France vous obligera à payer cette taxe, c’est injuste et injustifié ! « , s’insurgent-ils auprès d’une grande entreprise énergétique qui semble préoccupée.

La philosophie serait donc très différente de l’impôt sur les superprofits qui visait – comme son nom l’indique – à récupérer les rentes liées à des conditions de marché exceptionnelles. Et pour cause : depuis le début de l’année, les prix sont (presque) revenus à la normale.

Mais si la « taxe EDF » devait être mise en place, les entreprises concernées la répercuteraient probablement sur les consommateurs. Et ce via le marché de capacité, où les énergéticiens et les fournisseurs d’électricité échangent des garanties de production par le biais d’enchères. Tout cela sera fusionné dans les factures finales. « , déclare Nicolas Goldberg. «  Cela entraînera une augmentation du prix de revient des fournisseurs, y compris ceux qui proposent un tarif de vente réglementé ou indexé sur celui-ci. Cela aura un impact sur tous les consommateurs au prorata de leur consommation de pointe. « , ajoute Fabien Choné.

« D’un côté, on nous présente une volonté d’instaurer une politique de l’offre et non d’augmenter les impôts. De l’autre, on nous présente un système fiscal magique, qui semble échapper à la logique habituelle. En réalité, il s’agit bien d’un nouvel impôt. « , note-t-on chez le spécialiste de l’énergie précité.

 » Bruno Le Maire affirme qu’il ne s’agit pas d’une taxe sur le consommateur. Mais si vous augmentez le prix du chocolat, le prix du pain au chocolat augmente ! « , ajoute une autre entreprise directement visée.

La même logique était à l’œuvre lorsque l’ancien gouvernement avait augmenté en février dernier la taxe d’accise sur l’électricité, de 1 euro par mégawattheure (MWh) à 21 euros par MWh. Cela s’est traduit par une augmentation de 10 % des factures, alors même que la Commission de régulation de l’énergie (CRE) recommandait dans le même temps une légère baisse de celles-ci. Le nouveau gouvernement pourrait d’ailleurs réitérer la technique en février prochain, lors du calcul du nouveau tarif réglementé de vente (TRV), alors que l’exécutif sortant n’a jamais caché sa volonté de porter cette taxe d’accise à 32 euros/MWh. S’ils l’augmentent, le tarif réglementé baissera d’environ 10 %, au lieu d’une baisse de 20 %. Ils pourront alors noyer l’augmentation de cette taxe « , note l’économiste Jacques Percebois, spécialiste des marchés de l’énergie.

Électricité : les prix baissent, mais les factures vont augmenter !

Et la transition énergétique ?

Et pourtant, augmenter les taxes sur l’électricité alors que nous devrions progressivement nous éloigner des énergies fossiles pour des raisons climatiques semble incohérent, voire « complètement contradictoire « , estiment de nombreux observateurs.

«  Ce projet de taxe pénalisera principalement les moyens de production décarbonés et contrôlables. Pourtant, la France doit réaliser des investissements gigantesques dans ce secteur si elle veut réussir sa transition énergétique. « , explique l’un des spécialistes de l’énergie précités.

Reste à savoir si le futur gouvernement Barnier inclura la mesure dans le budget de l’Etat, dont la présentation est toujours prévue le 1er octobre. Interrogé sur le sujet, Matignon n’a pas répondu à nos sollicitations.

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Ray Richard

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