C’est un coup dur pour l’écosystème French Tech. L’une de ses vitrines, la start-up Ÿnsect, vient d’annoncer l’ouverture d’une procédure de sauvegarde à son encontre, auprès du tribunal de commerce d’Evry (Essonne). Ce système permet en effet à l’entreprise spécialisée dans la production de protéines à partir d’insectes de geler ses créances pour une durée de six mois, renouvelable une fois.
« Nous ne sommes qu’au début de cette histoire. Nous allons maintenant commencer à travailler avec le curateur mandaté par le tribunal de commerce (Maître Hélène Bourbouloux, ndlr) pour définir un plan de sauvegarde », commente un porte-parole de l’entreprise, contacté par La Tribune.
De l’extérieur pourtant, tout semblait aller pour le mieux pour cette jeune entreprise fondée en 2011.L’usine de production d’insectes d’Ÿnsect, d’une superficie de 45 000 mètres carrés, a finalement livré ses premiers clients à l’été 2024, mais deux ans plus tard que prévu. Situé à Poulainville (Somme), le site constitue la plus grande ferme verticale au monde dédiée à la production de protéines alternatives pour l’alimentation animale. Sa spécificité ? Ces protéines sont fabriquées à partir de Molitor, un petit coléoptère connu sous le nom de ver de farine, destiné à remplacer les protéines animales.
La start-up est souvent citée en exemple de réindustrialisation du pays par le gouvernement et soutenue par Bpifrance. Ses difficultés apparaissent comme un nouveau mauvais signal, après la dernière étude du cabinet Trendeo qui démontre une accélération des fermetures d’usines en France et un ralentissement des ouvertures. Nul doute que sa situation fera l’objet d’une attention particulière au sein de l’exécutif.
Un manque de liquidité
Pour justifier ses difficultés, la direction d’Ÿnsect ne s’en cache pas : il ne s’agit ni plus ni moins d’un manque de trésorerie. » L’atterrissage du projet industriel nécessite encore des capitaux supplémentaires en attendant un niveau de production et vente pour assurer la rentabilité de l’entreprise », précise l’entreprise dans un communiqué relatif à l’ouverture de cette procédure de sauvegarde.
» La dernière levée de fonds n’a pas été à la hauteur des attentes », ajoute une source.
Fin 2023 et à cheval sur début 2024, l’entreprise membre de la French Tech Next40 a levé 160 millions d’euros. Mais depuis ses débuts, Ÿnsect revendique avoir réuni « 625 millions de dollars provenant de grands fonds d’investissement mondiaux, de banques et d’institutions publiques « . La procédure de sauvegarde devrait donc lui permettre d’augmenter un peu plus ce montant d’ici l’été 2025, au plus tard.
« Ÿnsect est en discussions avancées avec un certain nombre d’investisseurs souhaitant accompagner et financer cette phase de lancement de son processus industriel. Les délais inhérents à la réalisation de cette levée de fonds se sont toutefois révélés incompatibles avec la pression financière vécue par l’entreprise. L’ouverture de la procédure de sauvegarde, pendant laquelle les opérations se poursuivent normalement, permettra à l’entreprise de bénéficier du temps nécessaire pour finaliser les discussions relatives à cette nouvelle levée de fonds », explique l’entreprise, toujours dans son communiqué. .
Si les comptes de 2023 n’ont pas été rendus publics, ceux de 2022 affichent en revanche des pertes estimées à 89,7 millions d’euros, après les 36 millions de pertes en 2021.
Réorientation stratégique
Quel que soit le but de cette procédure de sauvegarde, les difficultés pour Ÿnsect a commencé bien en avance. Les retards dans la livraison de son usine se sont doublés d’un plan de départs volontaires portant sur 20 % de ses effectifs en 2023, en même temps que sa dernière levée de fonds. Environ 73 emplois, la moitié dans ses bureaux parisiens et l’autre moitié aux Pays-Bas en raison de la fermeture d’un site de production.
Aujourd’hui, la start-up industrielle emploie un peu plus de 200 salariés, dont la moitié travaille pour la seule usine située près d’Amiens. Ces équipes, planifiées, doivent désormais appliquer un nouveau plan de développement.
« Notre stratégie a été réorientée pour atteindre la rentabilité le plus rapidement possible. Ainsi, les produits destinés à l’alimentation humaine ont été arrêtés notamment pour se concentrer sur le secteur du petfood (pet food, ndlr), un marché à valeur ajoutée bien plus élevée et dynamique », explique un porte-parole de l’entreprise en difficulté.
Dans cette logique, Ÿnsect a obtenu en début d’année l’autorisation de commercialiser ses produits pour chiens aux Etats-Unis,Après deux ans de formation auprès de l’AAFCO, l’organisme responsable de la sécurité alimentaire animale aux États-Unis. Un marché qui se développera sans aucun doute avec attention Shankar Krishnamoorthy, PDG d’Ÿnsect depuis près d’un an, après avoir dirigé la construction de l’usine d’Amiens. Un profil bien plus industriel que le directeur emblématique de la start-up, Antoine Hubert, fondateur de l’entreprise et aujourd’hui directeur de l’innovation.