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la science face à l’impossible nettoyage des océans

Ces dernières années, les projets se sont multipliés, à mesure que s’est accrue la prise de conscience des dangers des déchets plastiques dans les milieux aquatiques. Mais alors que la production de ce matériau continue de croître, les actions restent minimes.

« Il y a eu un âge de pierre, un âge de bronze… Et aujourd’hui nous sommes en plein âge du plastique. » En 2012, l’homme qui a lancé sa conférence TEDx à Delft (Pays-Bas) avait 18 ans, l’âge du rêve et du courage. Aspirant ingénieur, Boyan Slat a ensuite enthousiasmé le monde avec son concept de« extraction des déchets marins ». « Je pense que le vortex de déchets du Pacifique Nord peut être nettoyé en cinq ans. » nous assure-t-il devant un croquis de barrières flottantes capables de capter les déchets de surface charriés par le courant. Une idée simple qui séduit le grand public, déjà enthousiasmé par l’audace et l’âge du capitaine.

Grands barrages flottants, barrages fluviaux, bateaux, roues, aides à la détection, pièges à déchets pour cours d’eau, drones et robots, filtres à sable, murs à bulles, écrémeurs de surface, aspirateurs… Autant de dispositifs prometteurs pour lutter contre la pollution plastique des milieux aquatiques. Les environnements ont depuis explosé. Dans un rapport publié en octobre 2023 (PDF)l’Environmental Investigation Agency (EIA), une ONG britannique, en recense 38, fonctionnelles ou à l’étude. Une multitude de solutions plus ou moins vertueuses que la Journée maritime européenne, lundi 20 mai, offre l’occasion de s’interroger.

« Pour attirer l’attention des médias, il faut quelque chose de spectaculaire et d’innovant », estime Isabelle Poitou, biologiste marine spécialisée dans les déchets marins. Le projet fou de Boyan Slat et de son ONG, The Ocean Cleanup, « a donné de la visibilité à ce problème. Avec ce discours prononcé par quelqu’un de jeune, cela a fait naître l’espoir de pouvoir faire quelque chose.”explique le ddirecteur de l’association MerTerre. Mais à le moment est venu « sceptique » face à l’enthousiasme suscité par l’ONG néerlandaise. « Puisque 80 % des déchets retrouvés en mer proviennent de la terre ferme, tout cet argent investi pour collecter le plastique en plein Pacifique ne serait-il pas mieux utilisé sur des actions ciblées à la source de cette pollution ? , se demande-t-elle. Mais avec le recul, je me dis : quand même, ce qu’ils ont pu extraire de l’océan, c’est pas mal !' »

L'ONG The Ocean Cleanup déploie son système baptisé System 03 dans le Pacifique Nord le 17 septembre 2023. (THE OCEAN CLEANUP / IMAGES DE COUVERTURE / SIPA)

Quelque 80 000 tonnes de plastique flottent dans le vortex du Pacifique Nord, explique Laurent Lebreton. En 2018, avec son équipe, le scientifique en chef de The Ocean Cleanup a estimé la taille de cette « le septième continent » : presque trois fois la France. « Pour l’instant, nous avons valorisé environ 500 tonnes de déchets plastiques, ce qui représente environ 0,5 %. de ce qui flotte dans la zone, explique l’océanographe. « C’est peu »il admet, mais « Cela nous a permis de tester des processus et de collecter des données précieuses. »

Dans 2024, The Ocean Cleanup, avec ses trois dispositifs de captage des déchets opérant dans ce vortex, n’espère plus nettoyer le Pacifique Nord en cinq ans. « Avec dix de ces systèmes fonctionnant en continu pendant une dizaine d’années, nous pouvons dépolluer plus de 80 % de ce qui s’accumule dans le Pacifique Nord, estime Laurent Lebreton. Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est d’accélérer. Mais, dix ans après le battage médiatique, on ne trouve pratiquement aucune trace en mer d’armadas mangeant des déchets flottants.

Modélisation d'images de synthèse du projet de bateau hybride

Les projets les plus spectaculaires sont aussi les plus coûteux. LE Mantel’extraordinaire bateau-usine de The Sea Cleaners, annoncé en 2016 par le navigateur franco-suisse Yvan Bourgnon, il paie aussi le prix de cette logique. Le lancement prévu en 2022 a été reporté à 2024, puis à 2027…

Beaucoup de bruit pour rien ? « La meilleure stratégie reste d’empêcher les déchets de se retrouver dans l’eau« , note Isabelle Poitou. Ne pas réussir à réaliser son rêve Mante, The Sea Cleaners lutte déjà contre les déchets plastiques en Indonésie, où l’organisation développe des infrastructures de tri. The Ocean Cleanup a également réorienté une partie de son action vers des initiatives moins fantaisistes. Une dizaine de bateaux plus modestes sont postés en Jamaïque ou au Guatemala, pour nettoyer à l’entrée des ports et des embouchures de fleuves, dernières escales au large.

La solution est-elle enfin trouvée ? Sans une réduction rapide de la surconsommation de plastique, la quantité de déchets produite dans le monde pourrait tripler d’ici 2060, souligne l’OCDE. « J.« Je crains que malgré les belles images, nous soyons encore plusieurs ordres de grandeur en deçà de l’ampleur du problème », commente le philosophe et directeur de recherche au CNRS Roberto Casati, spécialiste des représentations liées à l’océan. « Un peu comme utiliser son aspirateur à main pour nettoyer les Champs-Elysées après le défilé du 14-Juillet. »

Dans son rapport, l’EIA dénonce des technologies de nettoyage à peine suffisantes « attirer l’attention du public », inutile, voire contre-productif. Ils sont « une distraction »déplore même l’ONG britannique, qui insiste sur l’urgence de réduire la production de plastique.

Une mer de plastique dans la ville portuaire de Belawan, sur l'île de Sumatra (Indonésie), le 4 juin 2022. (SUTANTA ADITYA/SHUTTERSTOCK/SIPA)

Dans un monde qui évolue (lentement) vers des énergies bas carbone, les sociétés pétrolières et pétrochimiques ont investi massivement dans le secteur. Accusés par les ONG et les scientifiques de s’opposer à toute tentative de réduction significative, ils sont la promotion tous azimuts des initiatives de recyclage et de nettoyage des déchets qu’elles produisent. Thé Ocean Cleanup, qui vit de la philanthropie, s’est associé à Coca-Cola, premier pollueur dans ce domaine, selon le rapport de l’ONG Break Free from Plastic.

Quant au groupe Pepsico (quatrième pollueur plastique), il figure avec les compagnies pétrolières Exxon et Chevron ou le chimiste BASF parmi les membres duAlliance pour mettre fin aux déchets plastiques (AEPW). Dans les pays en développement, cette structure créée en 2019 à l’initiative de TotalEnergies assure la lutte contre les déchets plastiques, tout en vantant les mérites de cette même filière. Dna rapport 2022, l’ONG Planet Traker (lien PDF) a dénoncé un « greenwashing sophistiqué », tandis qu’un représentant de l’AEPW livrait l’année suivante à La nouvelle usine sa stratégie 100% recyclage. Gestion du « fin de vie » matériel qui, pour les multinationales du secteur, « va elle-même ralentir la création de nouvelles unités de production de plastique vierge ».

Simon Bernard, fondateur de Plastic Odyssey, croit aussi en une seconde vie pour le plastique. « Prétendre pouvoir nettoyer l’océan est un mensonge » » dit-il au téléphone, depuis son bateau-laboratoire, amarré depuis quelques jours en Nouvelle-Calédonie. Mais l’approche doit « être accompagné de réelles mesures politiques de la part de la communauté internationale pour mettre fin à la surproduction de plastique ».

P.arti de Marseille en octobre 2022 pour trois ans, son équipage, composé d’ingénieurs et autres biologistes, n’a pas vocation à ramasser tous les déchets. Avec un concept d’usine de poche qui tient dans un conteneur, il explique leur mission : « A chaque escale, essayez de convaincre acteurs locaux, entrepreneurs, institutionnels, habitants, etc., pour mettre en place des filières locales de traitement de ces déchets plastiques marins, économiquement viables. Les possibilités sont infinies pour ce plastique qui peut devenir des panneaux de construction, des meubles ou, par pyrolyse, servir de combustible.

Lors d'une escale à Dakar, au Sénégal, le 22 février 2023, Baptiste Lomenech (deuxième à gauche), du projet Plastic Odyssey, présente le fonctionnement du laboratoire de transformation des déchets utilisé à bord du bateau, en vue de favoriser le déploiement de ce "basse technologie" par des entrepreneurs locaux.  (SEYLLOU/AFP)

Collecter, trier, recycler… « C’est comme Sisyphe poussant son rocher vers le haut de la montagne avant de recommencer. » soulager Aurélien Strmsek, chef decollectes de déchets au sein du Fondation Surfrider. « Collecter, pas nettoyer », il insiste. Inventorier les déchets collectés sur les plages et le long des rivières contribue à « comprendre les sources de pollution pour réduire ces sources en priorité », il explique. Cette démarche a poussé Isabelle Poitou à créer l’Observatoire des déchets en milieux aquatiques en 2006.. C’est d’ailleurs cet objectif qui motive The Ocean Cleanup ou The Sea Cleaners. Mais à Surfrider Foundation, « nous considérons que commencer par le nettoyage« Si nous arrêtons d’abord le flux de plastique à usage unique, nous regardons le problème à l’envers. » REMARQUE Aurélien Strmsek.

Pour Laurent Lebreton, vouloir fermer le robinet n’interdit pas de continuer à éponger. Il défend des travaux utiles, qui ont permis d’agir sur la question des filets de pêche ou d’apporter des arguments scientifiques aux États, qui négocient actuellement les termes d’un traité sur le plastique. « C’est comme une bombe à retardementestime le scientifique, Plus nous attendons, plus les plastiques se dégradent dans l’environnement. »

À ceux qui pointent du doigt des missions inefficaces, voire contre-productives, Laurent Lebreton répond : « Ce sont tous des gros déchets qui ne deviendront pas des microplastiques, puis des nanoplastiques, dont on sait désormais combien il est difficile de les extraire. »

« Les projets visant à nettoyer la pollution plastique marine se heurtent encore à un certain nombre de limites. » estime François Galgani, océanographe à l’Ifremer. « Seulement, les verrous se desserrent petit à petit. » Collecte et recyclage des déchets, « c’est la ruée vers l’or », » dit-il en citant un exemple chinois de collecte et de transformation à l’échelle industrielle.

« Jusqu’à l’année dernière, personne n’imaginait que nous pourrions avoir un réseau aussi structuré, créant des dizaines d’emplois », s’enthousiasme l’océanographe. Quant aux micro et nanoplastiques, ils font aujourd’hui l’objet d’abondantes recherches. Et de nouveaux espoirs.

Pour son « aimant microplastique », le jeune irlandais Fionn Ferreira a reçu le prix pour « Inventeurs européens de l’année » 2023, décerné par l’Office européen des brevets. L’étudiant avait déjà a remporté le concours Google Science Fair 2019, ainsi que 50 000 $ pour cette invention. Son objectif, expliquait-il alors, était de développer sa start-up en vue de lutter contre la pollution des océans à grande échelle. L’âge des rêves et du culot veut encore croire à la fin de « l’ère du plastique ».

Cammile Bussière

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