La saga du célèbre Gaulois est-elle misogyne ?
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La saga du célèbre Gaulois est-elle misogyne ?

La saga du célèbre Gaulois est-elle misogyne ?

Ils échangent des potins pendant que les hommes « se gifler ».  » Ils « ce sont Bonnemine, Mme Agecanonix et les autres personnages féminins de la bande dessinée Astérix. Alors que le petit Gaulois et son ami Obélix fêtent ce mardi 29 octobre leurs 65 ans, après 40 albums, 11 films et un parc de loisirs, l’occasion est venue de s’interroger sur la place occupée par les femmes dans le village des irréductibles Gaulois.

Car le constat est sans appel : leur vie est jonchée d’inégalités. Boire une potion magique ? Les Gauloises n’y sont autorisées qu’à partir du 19ème album, Le Devin (1972). Participer au banquet final ? Ils ne sont assis à table que depuis 1974, soit une quinzaine d’années après la première apparition d’Astérix dans le magazine. Pilote, en 1959.

Un contre-pouvoir autour du lait de chèvre

D’inexistants dans le premier album, ils gagnent peu à peu leurs droits. Mais les femmes de Astérix ne sont pas aidés par le contexte sociétal des années 1960. Tout d’abord, à l’époque, le public de la bande dessinée était majoritairement masculin, et le contenu en souffrait. Il faudra attendre les années 1980 pour assister à une (timide) féminisation du lectorat, et donc des personnages.

Puis, depuis 1949, la loi sur les publications destinées à la jeunesse encadre le contenu des bandes dessinées. « L’érotisme fait partie des sujets dans le collimateur de la commission, et toute représentation de la femme devient suspecte », explique Nicolas Rouvière, maître de conférences à l’université Grenoble-Alpes (1). « De nombreux auteurs s’autocensurent en conséquence. »

Donc dans Astérixmême si Obélix a un béguin innocent pour Falbala, les femmes ne sont pas là pour la bagatelle. « Leur comportement, au contraire, complique l’intrigue. » analyse Marie-Christine Lipani-Vaissade, auteure de l’ouvrage Les femmes d’Astérix : seulement des ennuyeuses ?. Ce sont souvent les Gaulois qui ouvrent l’esprit de ces messieurs, même si cela les confond parfois.

Au village, ils représentent une sorte de contre-pouvoir, qui se réunit autour du lait de chèvre. Ils ne participent pas aux voyages, mais « ils sont courageux et ont un rôle actif, transmettant des informations qui déclenchent souvent un tournant dans l’histoire »détaille Marie-Christine Lipani-Vaissade.

L’utopie d’un village franchouillard

Pourtant, René Goscinny faisait déjà face à des accusations de misogynie en 1975. « Les personnages d’une histoire comique doivent être eux-mêmes comiques. » il se défend sur le tournage de « Aujourd’hui Madame ». « Vous dites que les femmes du village sont des caricatures, mais pensez-vous que leurs hommes sont beaux ? »

Le célèbre scénariste trouve donc un étrange ressort dans l’équilibre de ce village, plus français que gaulois, où les espaces autour de la poissonnerie sont réservés aux femmes et ceux autour de la forge, aux hommes. « En créant cette communauté organisée de manière stéréotypée selon le genre, Goscinny se moque de la société traditionnelle de son époque. » analyse Nicolas Rouvière. Hommes et femmes, tout le monde est griffé.

Bonnemine, Falbala et les autres

Malgré tout, la série de comics compte peu de personnages féminins récurrents. Parmi eux, la célèbre Bonnemine porte la braie dans le couple qu’elle forme avec  » Jack », le chef du village Abraracourcix.

 » Elle représente l’épouse du couple français moyen des années 60, hantée par les problèmes domestiques.s » explique Marie-Christine Lipani-Vaissade. Pleine de frustration, elle projette ses ambitions sur son mari. L’occasion de provoquer la situation comique chère au duo Goscinny/Uderzo, en opposant cette boule d’énergie à son mari infantilisé.  » Molière l’a fait avant moi, il y a de la comédie dans l’histoire du mari terrorisé par la femme »Goscinny s’en justifiait.

Avec la belle Falbala, » les auteurs jouent délibérément sur l’ambiguïté », explique Nicolas Rouvière. Pour certains, elle est l’image de la femme gauloise idéale. Pour d’autres, elle incarne la nouvelle génération moderne qui part en ville pour poursuivre des études supérieures. Il en va de même pour la jeune Mme Agecanonix, dont le prénom n’est jamais donné. Archétype du modèle féminin, ou figure émancipée ?  » Malgré la différence d’âge, ils forment un couple moderne : elle délègue les tâches ménagères à son mari nonagénaire » souligne Marie-Christine Lipani-Vaissade.

Une modernisation de l’univers gaulois

Dans La Rose et l’ÉpéeUderzo, qui reprend seul la série après la mort de Goscinny, tente maladroitement de bouleverser l’univers du village gaulois. A travers le personnage du barde Maestria, il crée une sécession féministe. Accablé, embrassé avec force par le barde, Astérix gifle Maestria.  » C’est similaire à la violence domestique, et pour une bande dessinée pour enfants, c’est très inapproprié. » souligne Marie-Christine Lipani-Vaissade.

Dans Astérix et le GriffonAvant-dernier album à ce jour, la balance est pourtant bel et bien inversée par le nouveau duo d’auteurs et de designers. Astérix et Obélix, ces Lauriers et Hardy d’avant Jésus-Christ, arrivent dans un village de guerriers dont les maris restent à la maison pour s’occuper des enfants.  » Jean-Yves Ferri et Didier Conrad ont largement modernisé l’univers de la saga, et ça marche», souligne Nicolas Rouvière.  » C’est une question de générations « .

(1) Auteur de Astérix ou les lumières de la civilisationPUF, 248 p., 25,50 €.

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