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La Russie accroît sa présence en Libye, au grand désarroi des Occidentaux

Le maréchal Khalifa Haftar (au centre) accueilli sur une base militaire de Moscou par le vice-ministre russe de la Défense Yunous-bek Evkourov (en bleu), le 26 septembre 2023.

Petit à petit, la structure stratégique tracée par Moscou en Afrique du Nord se consolide. La présence russe en Libye, déjà tangible dès 2019 sous la forme d’unités paramilitaires (ex-Groupe Wagner), a connu depuis le début de l’année une brusque accélération qui n’a pas échappé aux Occidentaux frappés d’incapacité. « Cela fait trois mois que la Russie transfère des soldats et combattants russes vers la Libye »» conclut une note publiée vendredi 10 mai par All Eyes on Wagner.

Ce collectif international d’investigation sur les réseaux russes en Afrique ajoute que « la livraison d’équipements et de véhicules militaires de la Syrie vers la Libye constitue l’aspect le plus visible de (ce) une implication accrue ». Citant le chiffre de 1 800 Russes désormais déployés à travers le pays, Tous les regards sur Wagner note que deux navires de la marine moscovite – des navires de débarquement – ​​partis de la base navale syrienne de Tartous ont atteint le port de Tobrouk le 8 avril en Cyrénaïque.

Photos à l’appui, le groupe d’enquêteurs affirme que des véhicules et des armes ont été déchargés, comme des mortiers 2S12 Sani ou des véhicules blindés de transport BTR et BM. Il s’agirait de « la cinquième livraison » de ce type à Tobrouk en quarante-cinq jours. Des sources diplomatiques occidentales sollicitées par Le monde confirment cette montée en puissance russe dans cet État charnière de l’Afrique du Nord, carrefour du Machrek et du Maghreb.

« L’augmentation concerne plus les équipements que les personnes », a toutefois nuancé un diplomate d’un Etat européen. Ces derniers mouvements en Libye, ajoute-t-il, font partie « une percée mondiale russe » qui vise à « Installer des gouvernements pro-Moscou dans toute l’Afrique de l’Est et de l’Ouest. Il ne manque plus que le Tchad pour couper l’Afrique en deux.» Un Tchad qui fait également l’objet d’une vive convoitise de la part de la Russie.

Plateforme de projection

Si la Libye est cruciale dans cette offensive africaine, c’est parce qu’elle fonctionne comme une plateforme de projection de matériels et d’hommes vers les États voisins : Soudan en guerre civile, Niger et Mali – et plus au sud le Burkina Faso –, dirigés par des juntes proches du Kremlin, et potentiellement le Tchad. Le nœud stratégique de ce nouveau système se situe à Djoufra, un district libyen situé à 350 kilomètres au sud du golfe de Syrte, où arrivent matériels et hommes depuis Tobrouk avant d’être redirigés vers les théâtres régionaux convoités par Moscou.

La grande nouvelle est que « L’Etat russe n’a plus peur de montrer son implication directe en Libye », note Jalel Harchaoui, chercheur associé au Royal United Services Institute for Defence and Security Studies. Lorsque Wagner est entré en Libye en 2019 en soutenant l’Armée nationale libyenne (LNA) autoproclamée du maréchal dissident Khalifa Haftar – « l’homme fort » de Cyrénaïque (Est) – dans son vain assaut sur Tripoli, Moscou était dans le déni officiel. Cette époque est révolue puisque le vice-ministre russe de la Défense Yunus-bek Evkourov a déjà effectué quatre visites à Benghazi, la base politique et militaire de Khalifa Haftar, depuis août 2023.

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Ce maréchal libyen, qui a instauré en Cyrénaïque une autorité parallèle au gouvernement de Tripoli, s’est lui-même rendu fin septembre à Moscou, où il a rencontré Vladimir Poutine. Depuis, la présence russe est devenue plus visible puisque la branche africaine de l’ancien groupe de mercenaires Wagner, décapité par la disparition en août 2023 de son chef Eugène Prigojine, a été reprise par le ministère de la défense de Moscou sous le nouveau label Africa Corps.

Défi politique

Face à cette poussée russe en Libye, l’alarme retentit dans les chancelleries occidentales, qui cherchent en vain à réagir. Outre le risque d’étendre l’influence de Moscou à la périphérie régionale, les États-Unis et l’Europe sont confrontés à deux défis. La première est de voir s’implanter sur la côte une présence militaire russe sous la forme d’une base navale, à Tobrouk ou à Syrte, qui constituerait une menace directe pour les forces de l’Otan en Méditerranée. Syrte représenterait un scénario cauchemardesque pour les Occidentaux dans la mesure où la ville, située à la jonction de la Cyrénaïque (Est) et de la Tripolitaine (Ouest), n’est qu’à 600 kilomètres des côtes siciliennes.

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Le projet d’une base russe à Syrte est également une conception ancienne que Moscou n’a pas réussi à imposer à Mouammar Kadhafi dans les années 2009-2010. La ville est aujourd’hui sous le contrôle du maréchal Haftar, dans l’ombre duquel les paramilitaires russes opèrent localement lors de manœuvres militaires aux côtés de l’ANL, notent les chercheurs d’All Eyes on Wagner. Lors d’un exercice le 16 mars, des systèmes anti-aériens russes Pantsir ont été déployés sur la base aérienne de Ghardabiya, dans la banlieue de Syrte.

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L’autre défi est plus politique. Car au-delà de son influence militaire en Cyrénaïque (Tobrouk, Syrte) et dans le sud du Fezzan (Tamanhint, Brak Al-Shati), Moscou mène un activisme diplomatique tous azimuts, y compris à Tripoli – ville censée être plutôt sous tutelle des Turcs. – où son ambassade a rouvert fin février. Le nouvel ambassadeur, Aydar Aghanin, parfait arabophone, multiplie les rencontres avec les responsables politiques libyens de tous bords.

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En combinant moyens militaires et capital diplomatique, la Russie rassemble des ressources pour l’avenir. « Moscou est susceptible de s’affirmer comme un conciliateur, l’interlocuteur privilégié des factions libyennes », anticipe Jalel Harchaoui. Pire encore, à mesure que les flux migratoires en provenance du Soudan et du Niger traversent des régions contrôlées par le maréchal Haftar, et donc de facto par des paramilitaires russes, Moscou va à terme renforcer sa main vis-à-vis de l’Union européenne.

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Eleon Lass

Eleanor - 28 years I have 5 years experience in journalism, and I care about news, celebrity news, technical news, as well as fashion, and was published in many international electronic magazines, and I live in Paris - France, and you can write to me: eleanor@newstoday.fr
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