La Résurrection du Dodo, un blockbuster à gros budget
La start-up américaine Colossal Biosciences déploie d’importants moyens pour faire revivre des espèces disparues comme le mammouth laineux ou le dodo endémique de l’île Maurice, où l’association Mauritian Wildlife Foundation est chargée de réaliser une étude de faisabilité pour la réintroduction du célèbre oiseau disparu.
Écrit par Thierry Lauret – Dimanche 11 Août 2024 à 06:22
Image créée avec Midjourney (Intelligence Artificielle)
Visiter la page d’accueil du site Web Colossal Biosciences, c’est comme regarder la bande-annonce d’un film américain à gros budget sur des scientifiques découvrant comment faire revivre diverses espèces de dinosaures sur une île déserte.
« Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous avons le contrôle d’une science qui a le pouvoir de ralentir et d’empêcher la perte de biodiversité à grande échelle. Nous pouvons guérir une planète blessée. Nous pouvons protéger les espèces qui y vivent. Nous pouvons déchiffrer et protéger de manière éthique les codes génétiques. Et nous pouvons commencer à revenir à une époque où la Terre vivait et respirait plus proprement et plus naturellement. »se vante le site Web de la start-up basée au Texas.
Un scénario de science-fiction pris très au sérieux par le monde de la finance. En janvier 2023, Colossal Biosciences annonçait avoir levé pas moins de 150 millions de dollars de capitaux privés pour son programme de résurrection du Dodo, sans compter ses projets similaires concernant le loup de Tasmanie et le mammouth laineux.
Responsable du programme de réintroduction du Dodo à la Mauritian Wildlife Foundation, association chargée de préserver l’environnement naturel à l’île Maurice, Vikash Tatayah a visité les laboratoires de Colossal Biosciences en novembre 2023. « J’ai rencontré les chercheurs qui travaillent sur ce projet, Beth Shapiro et Matt James, et nous avons lancé un partenariat. Il y a un peu plus d’un mois, pour la première fois, il y a eu une visite officielle de Colossal Biosciences à l’île Maurice. »déclare Vikash Tatayah.
Ce dernier a ajouté que la visite des représentants de l’entreprise américaine avait également pour but de tisser des liens avec les autorités mauriciennes, voire de convaincre des personnes pour qui introduire des cellules issues de l’ADN reconstitué d’un Dodo dans un œuf de poule n’est pas sans soulever certaines questions.
« Réticence pour toutes sortes de raisons éthiques, morales et scientifiques »
« Ce sont les gouvernements qui signent les conventions, nous avons besoin de leur soutien et de leur aide. Mais il y a aussi des réticences pour toutes sortes de raisons éthiques, morales et scientifiques, et c’est pourquoi il est important d’avoir une prise de conscience, un dialogue. Bien sûr, il faut des garde-fous. C’est aussi pour cela que nous acceptons les gens qui posent des questions. »assure le spécialiste de la conservation de l’environnement naturel mauricien.
Pour Christian Léger, président de la Société d’études ornithologiques de La Réunion (Séor), ce blockbuster scientifique américain paraît un peu lointain. « Je ne connais pas le projet en détail, mais si biologiquement on peut vraiment y arriver, alors pourquoi pas ? Le Dodo est une espèce qui était endémique à l’île Maurice, qui a peu de chance d’être invasive car si elle est morte, c’est qu’elle n’avait pas une énorme capacité de reproduction. Mais c’est un peu comme jouer à l’apprenti sorcier. »il dit.
Le président de Séor pourrait aussi réussir à réintroduire une espèce d’oiseau disparue de La Réunion. Mais sans recourir à la génétique. Après une étude menée il y a trois ans sur la réintroduction des perruches vertes des Mascareignes, une espèce plus observée sur notre île depuis le XVIIIe siècle mais qui a survécu à l’île Maurice, Séor a récemment reçu un courrier de la préfecture indiquant que la Direction de l’environnement (DEAL) avait été prévenue du cas.
Il faut également sauver la perruche verte des Mascareignes
« La perruche verte n’étant plus parmi les espèces répertoriées en France, deux arrêtés ministériels sont nécessaires : l’un pour autoriser sa réintroduction, l’autre pour signifier sa protection »explique Christian Léger. « C’est une perruche forestière, qui se nourrit d’arbres à fruits à gros grains, et à l’île Maurice il n’y a quasiment plus de forêts. Cela permettrait de préserver complètement l’espèce. Autre avantage : aujourd’hui, il n’y a plus aucun animal à La Réunion capable d’aller semer ce type d’arbres avec des grosses graines de la forêt endémique réunionnaise, qui ne peut plus se régénérer toute seule. Les graines tombent au pied de l’arbre et avec la canopée, elles ne repoussent pas. »
Pour la Mauritian Wildlife Foundation, la réintroduction du Dodo est aussi un enjeu de biodiversité. Vikash Tatayah rapporte que le partenariat signé avec Colossal Biosciences, en plus de confier à l’association mauricienne la mise en œuvre d’une étude de faisabilité pour définir le ou les sites pouvant accueillir le Dodo, prévoit également des études scientifiques visant à lutter contre « l’appauvrissement génétique du pigeon rose, cousin distendu du dodo de l’île Maurice ».
« Le retour du Dodo n’est pas seulement le retour d’un oiseau, mais c’est aussi le retour d’une espèce qui va aider à restaurer les forêts, car s’il n’avait pas disparu, il aurait pu jouer un rôle clé dans la propagation de certains fruits. »note Vikash Tatayah.
La mission de son association sera donc de déterminer le ou les meilleurs sites pour réintroduire le Dodo, en prenant en compte un critère particulier : la nécessité d’intégrer une possibilité pour le public de venir admirer l’oiseau ressuscité, si tant est qu’il le soit un jour. L’île aux Aigrettes, l’île Ronde, le Parc National, la Vallée de Ferney et la Forêt de Chamarel font partie des sites évoqués.