Étudiant, j’écoutais mes professeurs présenter le vote majoritaire comme le mur de soutènement de la Ve République : avec lui, la stabilité parlementaire et gouvernementale était garantie ; et les extrêmes étaient hors jeu, incapables de l’emporter au second tour.
En tant qu’électeur puis élu, j’ai compris que, dans les circonstances actuelles mais durables, la religion du vote majoritaire devenait une hérésie. Aujourd’hui, nous avons à l’Assemblée nationale à la fois des extrêmes puissants, notamment à droite, et une instabilité sans précédent qui met tout gouvernement en danger de censure ou d’immobilisme.
Etrange remède, pourrait-on dire, que celui d’un mode de scrutin proportionnel qui aboutirait par construction à un Parlement sans majorité. Au moins, le vote majoritaire nous donne-t-il l’espoir d’un retour à une stabilité rêvée.
L’illusion serait grande. Peut-on sérieusement imaginer, dans les mois ou les années à venir, une recomposition telle que l’on retrouverait le tic-tac rassurant d’une nette majorité de gauche, ou du centre, succédant à une nette majorité de droite ? Un seul parti pourrait obtenir une majorité avec le scrutin actuel : le Rassemblement national. De l’illusion au cauchemar.
Absence de culture du compromis
Une vision plus pragmatique, ou cynique, conduirait à se résigner à la situation actuelle. Par un tour de passe-passe de l’histoire, le scrutin majoritaire a abouti à peu près au même résultat que les élections proportionnelles : alors pourquoi changer, puisque les vœux des partisans de la représentation proportionnelle ont été exaucés ? Et puis, les députés issus du scrutin majoritaire sont élus sur leur nom, enracinés dans leur territoire.
Regardons – et démontons – les mythes qui entourent les modes d’élection. Il serait insensé de dire que le vote majoritaire n’a aucun avantage, mais un fait est incontestable et très grave : notre culture politique est incapable de produire des compromis. Dans ce mal profond, le vote majoritaire fait monter la fièvre, entretient l’illusion infantile qu’on peut avoir raison et gouverner seul.
D’abord, on dit que dans un scrutin proportionnel, ce sont les partis qui font les nominations. Il est vrai que ce mode de scrutin favorise les apparatchiks, mais soyons francs : qui peut affirmer que ce ne sont pas actuellement les partis qui font les nominations ? Qui est réellement élu sur leur nom ? Ces députés se comptent sans doute sur les doigts d’une main. De plus, la représentation proportionnelle a ses variantes : un mode de scrutin départementalisé permettrait un ancrage local.
On dit aussi que la proportionnelle, en fragmentant le Parlement, nécessite des accords entre partis, qui ne sont pas lisibles, déçoivent les électeurs et font monter les extrémistes. N’est-ce pas le cas aujourd’hui, mais en pire ? Si le vote majoritaire avait empêché la montée du RN, on s’en serait aperçu.
Des alliances contre nature aux législatives
Les dernières législatives ont nécessité trois couches d’accords ! Avant le premier tour, des alliances contre nature se sont formées pour rassembler le maximum de voix, gagner ou se qualifier pour le second tour ; c’est la raison d’être du Nouveau Front populaire, alliance honteuse qui nourrit La France Insoumise et soumet la gauche républicaine. Entre les deux tours, de nouveaux accords ou retraits ont eu lieu (tant mieux !), pour faire barrage à l’extrême droite. Ensuite, à l’Assemblée, il faudra – ou il faudrait – construire une majorité, la plus large, la plus cohérente et la plus stable possible.
Dans une démocratie parlementaire proportionnelle, on vote pour le parti qu’on préfère, puis ces partis négocient un accord au grand jour. Cela permet à chacun de choisir son parti préféré, comme aux élections européennes, où l’électeur social-démocrate a pu voter pour Raphaël Glucksmann sans prendre Jean-Luc Mélenchon ou ses zélotes. Il n’y a qu’un seul moment de négociation, au Parlement, après les élections.
Chaque parti définit ensuite ses priorités, fixe ses lignes rouges, et l’accord de coalition reflète un équilibre. Aucun parti n’y retrouve « tout son programme, rien que son programme », mais le contrat est clair. En Allemagne, les Verts ont obtenu des avancées majeures dans le contrat sur les transports et l’écologie, leurs adversaires libéraux ont imposé des mesures strictes sur l’immigration : dès le départ, on sait ce qu’on tolère, on sait ce qu’on obtient, on l’assume devant les citoyens.
L’honnêteté de la représentation proportionnelle
Seule la représentation proportionnelle reconnaît d’emblée une logique de coalition et d’équilibre, et change la culture politique, en obligeant chaque parti à admettre l’évidence : il devra travailler avec les autres. C’est justement cette honnêteté et ce mode d’emploi qui nous manquent : chacun fait campagne comme s’il allait gouverner seul ; chaque parti continue même, après les élections, dans une pureté sectaire, à se comporter comme s’il avait gagné !
Sortons de ce grand théâtre tragique dont les victimes sont les Français, et libérons les partis du piège des alliances d’appareil dont la façade d’unité masque (mal) les désaccords de valeurs et d’idées.
Enfin, la proportionnelle a ses variantes et ses garde-fous. Par exemple, en Suède, le budget proposé par le gouvernement est adopté de facto si les oppositions ne s’entendent pas sur un budget alternatif. Il existe des moyens efficaces et responsables de gouverner dans un système proportionnel. Sans recourir au bonus de majorité, la nouvelle astuce du RN, une astuce grossière pour conserver à son avantage un vote majoritaire dominant.
La crise que traverse notre pays est d’abord une crise démocratique. Résoudre cette crise doit être notre guide, pour réformer nos institutions, sujet trop souvent relégué au rang de caprice de juristes ou de technocrates, loin des préoccupations de la vie quotidienne. Pourtant, tous les moments de redressement de notre pays ont commencé par là ! Assumons-le et inventons une représentation proportionnelle à la française, dans un vaste mouvement, nécessaire et urgent, de réforme institutionnelle.
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