La Norvège, l’Irlande et l’Espagne s’ajoutent à la liste des 142 États membres des Nations Unies reconnaissant un État palestinien. Les trois pays européens (dont deux membres de l’UE) forment ainsi un front uni, une vision commune, qui s’inscrit dans un tournant concernant le conflit israélo-palestinien sur la scène internationale.
L’attaque sanglante du Hamas le 7 octobre sur le sol israélien et surtout la réponse écrasante israélienne dans la bande de Gaza ont « changé la donne », estime Hugh Lovatt, chef de projet pour le programme Moyen-Orient et Afrique du Nord du Conseil européen. des relations extérieures (ECFR).
Pourquoi reconnaître la Palestine maintenant ?
La décision annoncée mercredi par le trio européen ne vient pas facilement. Madrid, Oslo et Dublin discutent de la question depuis des mois, en consultation avec les pays arabes, notamment l’Arabie saoudite, qui a salué une « décision positive ».
Cette volonté de reconnaissance s’inscrit néanmoins dans le contexte particulier d’événements qui ont modifié la scène internationale et la vision des Européens. « C’est en partie la réponse israélienne au 7 octobre qui a changé les calculs des pays européens », argumente Hugh Lovatt. C’est la réponse à ce qui se passe actuellement à Gaza, c’est vraiment un facteur clé. » Et il ne s’agit donc pas d’une « récompense aux terroristes » du Hamas, comme le soutient Benjamin Netanyahu.
« Jusqu’à présent, Européens et Américains se sont opposés de manière constante et régulière aux stratégies et propositions non violentes formulées par les Palestiniens, comme le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) », souligne notre expert. La raison ? L’illusion persiste que les accords d’Oslo, signés en 1993 en vue de résoudre le conflit israélo-palestinien, étaient encore utiles. Ainsi, « les pays occidentaux ont constamment bloqué les voies diplomatiques et non-violentes » perçues comme des obstacles aux accords. « La logique était d’encourager les négociations et rien d’autre », insiste Hugh Lovatt. Mais la situation à Gaza, entre bombardements, famine et catastrophe humanitaire, montre désormais que « le processus établi par les accords d’Oslo a complètement échoué ».
Par coïncidence, cette annonce intervient également deux jours après la demande tonitruante du procureur de la Cour pénale internationale d’émettre un mandat d’arrêt contre le Premier ministre israélien. « Israël s’isole de plus en plus, il y a très clairement un changement international en cours en ce moment », constate Hugh Lovatt, alors que, le 10 mai, 143 pays votaient en faveur de l’adhésion de la Palestine à l’ONU.
Qu’est-ce que la reconnaissance de la Palestine va changer ?
Trois pays européens à la fois, ça a du poids à la table des négociations. À court terme, l’annonce hispano-irlando-norvégienne pourrait donner un nouvel élan aux discussions autour d’une trêve dans la bande de Gaza, qui traînent depuis des mois. En « renforçant le positionnement arabe », estime Hugh Lovatt.
Au-delà de l’immédiat, la reconnaissance de l’État palestinien peut fournir une vision pour la période d’après-guerre et renforcer « non seulement la position européenne sur la solution à deux États aux frontières de 1967, mais aussi créer un horizon vers une politique de solution qui pourrait faciliter l’engagement arabe ». en soutien à Gaza», interprète le chercheur de l’ECFR. Selon lui, un plan arabe, non encore révélé publiquement, proposerait le déploiement de forces internationales à Gaza, mais pas sans l’existence d’une voie diplomatique. Même chose pour l’autorité palestinienne. qui ne se voit pas retourner à Gaza sans ouverture politique.
Il faut aussi se demander comment ce changement peut peser sur la balance israélienne. « Combien de temps faudra-t-il au gouvernement et au public israélien pour changer de position ? », demande Hugh Lovatt avant de répondre : « cela demandera encore pas mal de temps et d’efforts au niveau international. » Alors, pour espérer un changement durable, il faudra dépasser cette reconnaissance très symbolique de l’État de Palestine, qui est, pour l’instant, « un élément du puzzle diplomatique », tempère l’expert.
Et après ?
« Il faudra d’autres mesures, d’autres actions que la reconnaissance d’un Etat palestinien, y compris par les pays arabes eux-mêmes », argumente Hugh Lovatt. Ces mesures sont connues et certains pays, notamment la France, ont commencé à les mettre en œuvre. Il s’agit par exemple de sanctions économiques contre les colonies israéliennes, comme l’interdiction d’importer des produits en provenance des colonies. Ou même contre les colons israéliens « extrémistes » en Cisjordanie, comme l’a fait Paris en février dernier.
Notre dossier que la guerre en Israël et le Hamas
Autre possibilité : revoir les conditions de l’accord d’association qui sert de base juridique entre l’Union européenne et Israël, notamment sur le plan commercial. De nombreuses ONG européennes réclament la suspension de cet accord « au vu des violations des droits de l’homme commises par l’État d’Israël ». Des violations qui « constituent un non-respect des clauses des « éléments essentiels » qui stipulent que l’accord est conditionné au respect des droits de l’homme ».
« Alors que de nombreux sujets étaient encore tabous il y a un an, ils sont désormais sur la table, qu’il s’agisse de la reconnaissance ou des sanctions. Le défi pour les Etats européens est de pousser ces mesures au maximum.»