« La prise en compte des protestations contre la minute de silence masque la réponse pédagogique des enseignants »
Avec Une école sous le choc ? Le monde enseignant après l’assassinat de Samuel Paty (Le Bord de l’eau, 144 pages, 14 euros), Ismaïl Ferhat, professeur des universités à Paris-Nanterre, et Sébastien Ledoux, maître de conférences à l’université Picardie Jules-Verne, livrent le résultat de leurs travaux de recherche sur la manière dont des enseignants se sont mobilisés après l’agression contre le professeur d’histoire-géographie au collège Samuel Paty, le 16 octobre 2020. Leurs réactions sont diverses mais centrées sur l’action pédagogique auprès des élèves.
A travers vos deux enquêtes, qualitative et quantitative, vous montrez que le monde enseignant s’est fortement mobilisé pour assumer au sein des classes la responsabilité de l’attentat contre Samuel Paty et l’expliquer aux élèves, tout en absorbant eux-mêmes ce choc. . N’est-ce pas là une spécificité des enseignants face aux agressions : devoir réagir en tant qu’enseignant ?
Sébastien Ledoux : En effet, les enseignants sont pris dans une double problématique entre émotion et action éducative. Avec cette attaque, c’est encore la première fois qu’ils doivent gérer un événement qui les touche aussi frontalement. Le réflexe, même si ce drame les choque et les bouleverse, est néanmoins de se dire : comment vais-je aborder ce drame avec mes élèves ?
Vous parlez d’une « pédagogisation » de l’attaque. Qu’est-ce que cela signifie?
SL : Les enseignants sont soumis, depuis 2015 et l’attaque contre Charlie Hebdoà l’injonction d’intégrer la gestion de l’attentat dans l’espace scolaire, en organisant une minute de silence, notamment. Le ministère de l’Éducation demande aux enseignants de s’unir pour former une nation et répondre à l’attaque, quitte à tout standardiser. Mais chaque enseignant choisira de travailler ou non l’événement en classe, pour en faire un acte pédagogique. La prise en compte des attaques contre la laïcité ou des protestations contre la minute de silence masque ainsi la réponse pédagogique des enseignants.
Ismaïl Ferhat : Depuis les années 1980, on assiste à un phénomène de transfert des enjeux sociaux vers l’école, en France comme dans tous les pays occidentaux. L’école doit apporter des solutions. Il faut éduquer à la défense, à la sécurité routière, à la sexualité, à l’égalité entre filles et garçons, aux valeurs républicaines… Dans le code de l’éducation, en vingt ans on est passé de sept à dix-sept objectifs assignés au système éducatif. Les réponses pédagogiques apportées après l’assassinat de Samuel Paty s’inscrivent dans ce phénomène.
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