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« La priorité nationale » sous l’oeil de la justice en pleine campagne des législatives

C’est le grand jour foule, ce mardi 18 juin, au tribunal correctionnel de Nanterre (Hauts-de-Seine). Il est 9h30 et environ 70 personnes ont pris place sur les bancs de la salle numéro 2. Des étudiants, des lycéens mais aussi un bon lot de journalistes. Ce qui est une source évidente d’agacement pour les avocats de la défense.

Selon eux, si les médias sont venus en nombre, c’est uniquement parce que l’audience se situe en pleine campagne pour les toutes prochaines élections législatives. « Ce n’est pas le sort des prévenus qui intéresse les médias », lance, dès le début de l’audience, un avocat de la défense qui, comme ses confrères, souhaite que le procès soit reporté.

Le public d’aujourd’hui, il est vrai, est un peu inhabituel. Elle est en effet centrée sur la notion de « priorité nationale », pilier du programme du Rassemblement national (RN). Trois anciens cadres du Front national (FN), son ancêtre, tous absents aujourd’hui, sont jugés ce mardi pour provocation à discrimination.

Un guide pratique pour les candidats FN

Il leur est reproché d’avoir participé fin 2013 à l’élaboration ou à la diffusion d’un guide destiné à aider les candidats aux élections municipales de 2014. Dans ce guide, le FN invitait ses candidats pendant la campagne et une fois élus à « défendre la priorité nationale » Dans «l’attribution de logements sociaux».

Après avoir appris l’existence de ce guide, suite à des fuites dans la presse, la Maison des Potes, une association antiraciste, a porté plainte en mai 2014 pour provocation à discrimination. Parmi les prévenus déférés devant la justice, on retrouve Steeve Briois à l’époque secrétaire général du FN qui, selon le parquet, a supervisé la rédaction du guide. Même s’il a aujourd’hui perdu de son influence dans les instances dirigeantes du RN, notamment depuis la montée en puissance de Jordan Bardella, Steeve Briois est toujours maire d’Hénin-Beaumont, commune conquise en 2014. Et il se présente à ces élections législatives comme Marine Le Député de Pen dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais.

Ce qui donne un argument aux avocats de la défense, tous unis pour considérer que l’audience d’aujourd’hui devrait être reportée en raison de l’actualité électorale. « Il existe un risque majeur de perturber la sérénité des débats judiciaires mais aussi un risque d’être exploité dans le processus de ces élections législatives »affirme Me Rodolphe Bosselut, avocat de Marie-Thérèse Costa-Fesenbeck, aujourd’hui adjoint de Louis Alliot, maire RN de Perpignan, poursuivi pour avoir en 2014 diffusé le fameux guide sur le site Internet de la Fédération FN des Pyrénées-Orientales.

« Pourquoi as-tu si peur de la justice ? »répond Me Jérôme Karsenti, avocat de la Maison des Potes, opposé à la saisine. « La priorité nationale est quelque chose qui interroge la République dont vous êtes les garants, peut-être encore plus aujourd’hui qu’hier »ajoute l’avocat à l’attention des juges. « Il n’y a rien à craindre des médias qui sont là pour éclairer les citoyens sur leur vote »poursuit Me Slim Ben Achour, un autre avocat de la Maison des Potes.

Le procès s’est poursuivi

Pas de quoi convaincre le procureur de la République qui se montre favorable au renvoi, soulignant qu’il est d’usage, pour la justice, de ne pas juger les personnalités politiques en période électorale. Mais au bout de 20 minutes, le tribunal a annoncé la poursuite du procès, le président estimant qu’un nouveau report du dossier « nuirait encore davantage au bon exercice de la justice ».

Vient maintenant le débat de fond sur cette « priorité nationale », concept apparu au FN au milieu des années 1980 sous le nom de « préférence nationale ». L’idée est toujours défendue par le RN. Aux élections présidentielles de 2022, Marine Le Pen a ainsi défendu « la priorité nationale de l’accès au logement social et à l’emploi » souhaitant l’organisation d’un référendum populaire pour réviser la Constitution.

« Ce procès est extrêmement d’actualité »affirme Me Karsenti, critiquant les directives données par le FN à ses candidats via ce guide. « Il attendait de ses élus qu’ils diffusent cette idée qu’il y a des gens qui, parce qu’ils ont la nationalité française, ont plus de droits que d’autres »ajoute l’avocat. « Il s’agit d’une violation flagrante du principe d’égalité des citoyens »renchérit Me Stéphane Maugendre, défenseur du Gisti, une autre association partie civile.

C’est ensuite au tour du parquet d’enfoncer le clou. « Les hommes politiques, hommes et femmes, ont une responsabilité importante dans la défense de la démocratie »estime le procureur, dénonçant ces « consignes données aux élus » et clairement discriminatoire à ses yeux. Estimant que Steeve Briois doit être considéré comme un « co-auteur » du guide, il réclame à son encontre six mois de prison avec sursis et 10 000 € d’amende.

En réponse, la défense affirme qu’avec ce guide, l’objectif était simplement de permettre aux candidats puis aux élus municipaux de « défendre leurs idées » dans le cadre d’un débat politique. « Nous sommes dans le cadre de la liberté d’expression »croit Me Bosselut. « Ce sont des propositions politiques, qui ne sont ni racistes ni xénophobes mais qui sont là pour être discutées dans le cadre d’un débat d’intérêt public », ajoute Me Mohamed Djema, avocat de Steeve Briois. Décision de justice du 3 septembre, à un moment où la fièvre politique est peut-être retombée. Ou non.

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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