« La prière nous aide à garder confiance dans notre action contre la torture »
La Croix : L’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat) a mis en place une commission théologique. Quel est son but?
Katherine Shirk Lucas : Soutenir spirituellement les 28 000 adhérents (adhérents, donateurs, salariés) de l’Acat-France. La commission est composée de théologiens enseignants (1), d’animateurs de groupes locaux et de militants, ce qui permet de ne pas dissocier engagement de terrain et réflexion.
Sa particularité est, comme dans l’ensemble de l’Acat-France, d’être œcuménique, avec des catholiques, des protestants et des orthodoxes. Elle réfléchit théologiquement sur les fondements de notre engagement qui s’appuie sur deux textes fondamentaux : L’Évangile de Matthieu (25, 40 : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de mes plus petits frères, c’est à moi que vous l’avez fait. ») et l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (« Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants »). Nous croyons que chaque être humain est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. S’il est torturé, c’est le Christ lui-même qui est torturé.
Quel type de soutien offrez-vous ?
KSL : L’une des difficultés auxquelles est confronté le volontaire est la tentation de se décourager face à l’immensité de la tâche, face à l’impression que les campagnes de sensibilisation ne portent pas assez de fruits… L’important est de continuer à « porter la flamme de l’espoir », comme le rappelle cette année le thème de la Nuit des Veilleurs. Et la prière est essentielle dans notre lutte contre la torture pour maintenir la confiance dans le Christ qui a vaincu la mort. La prière nous aide à sortir de nous-mêmes et à nous concentrer sur Dieu. Sur le plan pratique, nous diffusons chaque mois une prière et une méditation qui peuvent nourrir aussi bien la prière personnelle que celle qui ouvre chacune de nos rencontres.
Vous réalisez également un travail en profondeur…
KSL : Oui, nous avons plusieurs chantiers. Nous plongeons dans les histoires de vie de chrétiens de différentes traditions qui se sont battus pour la dignité de la personne humaine, comme le pasteur Dietrich Bonhoeffer, la religieuse orthodoxe Marie Skobtsov, le catholique Franz Jägerstätter, pendant la Seconde Guerre mondiale.
Quel but ?
KSL : Pour en tirer des leçons. Ces grandes figures ont trois points communs : une très grande cohérence entre leur foi et leur action, à l’image du Christ ; des choix selon leur conscience, quelles qu’en soient les conséquences, et enfin la fidélité à la prière et à la lecture de la Bible. Cela peut inspirer nos engagements d’aujourd’hui.
Vous parliez d’autres projets…
KSL : Nous avons récemment développé une série de vidéos sur la chaîne YouTube de l’Acat-France à destination des communautés chrétiennes pour les sensibiliser à la notion de contrôle ; à la question du pouvoir dans nos communautés et à la nécessité de discernement dans l’exercice de l’autorité. Nous encourageons les baptisés à rester vigilants et à faire preuve d’esprit critique pour éviter les risques de manipulation et d’abus.
Vous fêtez vos cinquante ans d’existence. Qu’est-ce qui vous inspire dans le voyage que vous avez entrepris ?
KSL : Difficile de résumer en quelques mots. Personnellement, j’éprouve un profond sentiment de gratitude pour cette fidélité dans l’action, pour tous ces prisonniers libérés… Et cela nous incite à rester vigilants face aux nouveaux domaines où les droits de l’homme sont menacés, que ce soit dans l’usage des nouvelles technologies. ou encore les dangers qui pèsent sur la terre des militants (écologistes).
Les élections législatives ont lieu en fin de semaine. Quelle est la position de l’Acat-France ?
KSL : Nous venons de publier une tribune dans laquelle nous mettons en garde contre la récupération politique des « valeurs chrétiennes » à des fins identitaires ou communautaires ; nous dénonçons la stigmatisation des personnes les plus vulnérables, y compris celles contraintes à l’exil ; nous défendons le respect inconditionnel du droit d’asile… Les chrétiens sont des citoyens qui ont un rôle particulier à jouer pour créer et entretenir des lieux de dialogue où nous pouvons débattre pacifiquement.
(1) Elle enseigne elle-même à l’Institut supérieur d’études œcuméniques (Iseo) de l’Institut catholique de Paris.