Malgré leur prix de vente élevé, les ustensiles en inox de l’entreprise presque bicentenaire Cristel ont vu leurs ventes bondir et représentent désormais 70% du chiffre d’affaires de l’entreprise.
Elle a failli succomber à l’offensive de la poêle en téflon à la fin du XXe siècle, mais la poêle en inox tient sa revanche avec la polémique autour des « polluants éternels » (PFAS) présents dans les revêtements antiadhésifs.
A Fesches-le-Châtel, dans le Doubs, l’usine Cristel et ses casseroles haut de gamme vendues jusqu’au Japon ont le vent en poupe : le numéro un français du matériel de cuisine en inox a vu « la demande exploser » depuis son adoption en avril à l’Assemblée nationale une loi restreignant l’usage des PFAS en raison de risques sanitaires et environnementaux, confie son directeur général adjoint Damien Dodane.
Le projet de loi doit être examiné à partir de jeudi au Sénat. Elle prévoit d’interdire, à compter du 1er janvier 2026, la fabrication, l’importation et la vente de tout produit cosmétique, fart (pour skis) ou vêtement contenant des substances per- et polyfluoroalkyles (PFAS), à l’exception des protections de sécurité.
Suite à une intense campagne du groupe Seb, propriétaire des célèbres poêles Téfal, les députés ont également décidé de ne pas interdire les revêtements antiadhésifs dans les ustensiles de cuisine.
Mais le débat suscite « une réelle inquiétude sur le marché culinaire », constate Damien Dodane, dont la société commercialise à la fois de l’inox et des antiadhésifs. Si les deux matériaux étaient jusqu’à récemment à parts égales dans les ventes, l’inox représente depuis deux mois 70% du chiffre d’affaires de Cristel.
Casques poilus
Sur un tapis roulant bleu, les ustensiles défilent, attendant qu’un ouvrier soude « les oreilles », les petites poignées latérales sur lesquelles sera fixée la poignée amovible, signature de Cristel.
L’entreprise a presque deux cents ans si l’on la considère comme l’héritière de l’entreprise Japy, qui produisit sa première casserole en 1826. Avant même la polémique sur les PFAS, elle bénéficiait du confinement lié au Covid-19, malgré le prix du ses produits haut de gamme, vendus entre 90 et 160 euros.
« Les gens s’inquiétaient, pendant le confinement, du matériel dont ils disposaient pour cuisiner », observe Damien Dodane. L’entreprise a dû embaucher 24 salariés (il y en a actuellement 105) et a vu son chiffre d’affaires presque doubler, à 20 millions d’euros, contre 12 millions en 2019.
Cristel exporte désormais un quart de sa production dans 40 pays (dont 7 % au seul Japon) et ouvre des magasins et filiales des Etats-Unis vers l’Indonésie. Une donnée qui fait rêver sa présidente Bernadette Dodane avec le recul, car le pari n’était pas gagné d’avance.
C’est en 1983 que l’aventure commence. Un groupe d’ouvriers reprend l’usine Japy en faillite, qui fut l’une des plus grandes entreprises françaises du Second Empire avant de fournir des casques à l’armée pendant la Grande Guerre.
Mais la société coopérative de production (Scop) ne décolle pas et une comptable, Bernadette Dodane, est appelée à la rescousse pour apporter ses connaissances en gestion et trouver un repreneur. Elle remet aux pouvoirs publics un rapport sur la viabilité de l’usine, qu’elle juge nulle. « Il n’y avait pas d’avenir », se souvient-elle. « Il y a eu trois faillites judiciaires en huit ans. »
Du fourneau à la salle à manger
Seule chance de s’en sortir : monter en gamme, « alors que toutes les casseroles se ressemblaient il y a 40 ans ». Elle fait appel… à son mari, Paul Dodane. Dessinateur, technicien concepteur chez Peugeot, il a l’idée qui change la donne : la poignée amovible, qui permet à la casserole de passer élégamment du fourneau à la salle à manger.
Après le succès d’un prototype lors d’un grand salon, les salariés de l’entreprise en danger ont demandé au couple d’en reprendre la direction. En 1987, les Dodan acceptent, hypothéquant leur maison à hauteur de 30 % pour sauver Cristel.
« On peut tout cuisiner en inox. Cela demande juste de l’éducation», assure aujourd’hui leur fils Damien Dodane. Chaque année, Cristel propose 200 démonstrations culinaires chez ses revendeurs. « C’est notre façon de dire que la seule alternative aux polluants éternels est l’acier inoxydable. »
Quant à ses propres produits contenant des agents démoulants en polytétrafluoroéthylène (PTFE), Cristel a créé une activité de rechapage : environ un tiers du matériel est renvoyé à l’usine, où une chaîne de production permet de refaire le revêtement. Coût pour le client ? 30% du prix d’achat. Et un produit garanti à vie.