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La polémique contre Aya Nakamura rappelle que les JO sont souvent le théâtre du racisme

Burak Cingi / Redferns Aya Nakamura, ici lors d’un concert à Londres, octobre 2023.

Burak Cingi / Redferns

Aya Nakamura, ici lors d’un concert à Londres, octobre 2023.

EXPOSITION – Le sport n’est pas qu’une question de scores. Ce vendredi 26 avril, une grande exposition intitulée Olympisme : une histoire du monde a ouvert ses portes au Palais de la Porte Dorée, à Paris, pour nous parler des Jeux Olympiques, lieu où sont racontés les grands conflits géopolitiques ainsi que les mobilisations sociales et culturelles du monde entier.

Guerre froide, montée des nazis, colonialisme… Depuis la naissance des JO, selon Pierre de Coubertin en 1896, aux JO de Paris cet été 2024, plus de 100 ans d’histoire se sont écrits dans les enceintes des plus grands. compétition sportive, et notamment certains combats. Parmi lesquels, ceux pour la parité, l’égalité et contre le racisme et les discriminations.

D’un autre côté, ce que nous a également montré la récente polémique autour de la chanteuse Aya Nakamura, attendue lors de la cérémonie d’ouverture, c’est que les Jeux Olympiques peuvent aussi être le théâtre même du racisme. Nous avons décidé d’aborder cette dualité avec l’un des commissaires de l’exposition, l’historien Nicolas Bancel, spécialiste du sport et de l’histoire coloniale française.

HuffPost : Nous avons tous en tête cette image marquante, celle de Tommie Smith et John Carlos levant le poing sur le podium du 200 mètres pour dénoncer le racisme aux Etats-Unis en soutien aux Black Panthers, lors des JO de Mexique en 1968. Comment cela s’est passé ?

Nicolas Bancel : Il s’agissait d’un acte prémédité organisé par le Projet olympique pour les droits de l’homme, une association cofondée par le sociologue Harry Edwards. Cette dernière avait réuni les principaux athlètes afro-américains en amont des JO pour proposer une action spectaculaire visant à protester contre la discrimination et le racisme dont sont victimes les Afro-Américains aux Etats-Unis.

L’image qui en résulte est spectaculaire et symbolique. La main qu’ils lèvent est recouverte d’un gant noir, en référence au Black Panther Party. Ils ont enlevé leurs chaussures, rappelant la pauvreté dans laquelle vivaient de nombreux Afro-Américains. Et leurs lacets autour du cou sont le symbole des lynchages.

Tommie Smith, Peter Norman et John Carlos, ici pendant les Jeux Olympiques de Mexico en 1968.
Photos de la NCAA / Photos de la NCAA via Getty Images Tommie Smith, Peter Norman et John Carlos, ici pendant les Jeux Olympiques de Mexico en 1968.

Photos de la NCAA / Photos de la NCAA via Getty Images

Tommie Smith, Peter Norman et John Carlos, ici pendant les Jeux Olympiques de Mexico en 1968.

Ce geste a fait l’effet d’une bombe, mais a eu de graves conséquences pour les athlètes, notamment leur exclusion à vie des Jeux Olympiques. Ce dont on parle moins, c’est que d’autres athlètes ont également levé le poing lors de ces mêmes Jeux Olympiques, comme Larry James, Lee Evans et Ron Freeman sur le podium après l’épreuve du 400 mètres, avec le fameux béret du Black Panther Party sur la tête. Ils n’ont pas été sanctionnés.

Pensez-vous à d’autres gestes symboliques de ce genre qui ont eu lieu lors d’autres Jeux Olympiques ?

Il y en a très peu et ne sont pas tout à fait de même nature. Par exemple, la championne aborigène australienne Cathy Freeman a brandi deux drapeaux à la fin de son épreuve aux Jeux olympiques de Sydney en 2000 – le drapeau australien et le drapeau aborigène australien – comme symbole d’une possible réconciliation.

Les noms de Cathy Freeman, Tommie Smith, John Carlos, mais aussi du sportif afro-américain Jesse Owens reviennent souvent. D’un autre côté, les athlètes blancs se sont-ils déjà prononcés contre le racisme aux Jeux olympiques ?

Il y avait Peter Norman. L’athlète australien était sur le même podium que Tommie Smith et John Carlos, où il portait le petit insigne du Projet Olympique pour les Droits de l’Homme en soutien implicite à ses deux camarades. Il a subi les mêmes sanctions qu’eux.

Pourquoi les manifestations de ce type lors des Jeux Olympiques sont-elles si peu nombreuses, alors qu’elles pourraient avoir un impact important ?

Les Jeux Olympiques ont été conçus par Pierre de Coubertin comme un lieu de neutralisation des conflits internationaux, sociétaux et culturels. L’idée est de créer un espace où nous permettrons aux nations de participer à des événements sportifs sans entrer en guerre. C’est l’idée de la trêve olympique, un rêve irénique selon lequel en transposant les conflits sur le
terrain de sport, nous évitons les conflits sanglants entre les nations.

Cet espace de neutralisation, qui suppose une égalité absolue, ne tolère aucune manifestation qui briserait l’îlot de concorde. Or, on sait très bien que les Jeux Olympiques ont été utilisés politiquement à bien des égards, comme ceux de Berlin en 1936 par les nazis pour asseoir la respectabilité du régime.

Ces JO de Berlin suggèrent aussi que les Jeux Olympiques ne sont pas seulement un espace de revendications, mais aussi le théâtre du racisme, non ?

L’attribution des Jeux olympiques de Berlin en 1936, même si elle a eu lieu avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler, a suscité des interrogations. Au milieu d’inquiétudes, un membre du CIO nommé Avery Brundage a été envoyé en Allemagne pour assurer une bonne préparation pour la compétition. Il revient en assurant que tout va bien, que les nazis s’efforceront de respecter la charte. Ce qu’ils n’ont pas fait, comme en témoigne l’exclusion des athlètes juifs. Et pourtant, le CIO a quand même accepté de continuer.

Le même Avery Brundage fut alors président du CIO de 1952 à 1972. Dans une correspondance de sa part qui nous parvint plus tard, on découvre qu’il était « peu opposé » aux idées du nazisme. Rappelons que c’est à lui que l’on doit les sanctions contre Tommie Smith et John Carlos.

En 2022, le coureur Sha’Carri Richardson accusait le CIO de racisme. Plusieurs décennies avant elle, des accusations similaires avaient été entendues après la mise à l’écart de Tariq Abdul-Waha, premier joueur français à jouer en NBA et l’un des premiers à soulever la question du racisme dans le basket français. Pour quoi ?

Tariq Abdul-Waha n’a pas seulement incriminé le racisme au niveau sociétal en 1999, il a également porté ses critiques à l’égard de l’équipe de France, soulignant que la couleur de peau était un sujet. Il a lui-même déclaré qu’il pouvait s’y sentir stigmatisé. Après quoi, la Fédération française de basket a porté plainte contre lui. Il a ensuite été exclu de la sélection pour les Jeux olympiques de Sydney.

Ces accusations étaient-elles vraies ? Cela aurait mérité une enquête, mais la Fédération de basket-ball n’a pas souhaité procéder ainsi. Elle a évité le problème en supprimant son messager.

Et même si c’était une autre époque, le sport reste aujourd’hui très fermé sur lui-même. Les fédérations ont peu envie d’être auditées. C’est un environnement qui ne veut pas répondre aux lois communes. Le sport reste régi par un système juridique autonome – le Tribunal arbitral du sport – tandis que les conflits pourraient être confiés aux tribunaux civils.

En 2021, la Charte olympique a été assouplie pour permettre aux athlètes d’exprimer leurs opinions, à condition que cela ne vise aucun pays ni personne. Et que cela se déroule en dehors des épreuves. Est-ce que ça a du sens? Peut-on parler de racisme sans parler de politique ?

Nous ne pouvons pas les séparer. Le CIO veut contrôler tout ce qui se passe aux Jeux Olympiques, leur image et leur histoire idéalisée. Le CIO est bien conscient de tous ces problèmes. Des questions sont posées, mais n’ont pas encore reçu de réponse complète.

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Cammile Bussière

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