Pas de massacre cette fois. Contrairement à 2022, où la moitié des députés qui s’étaient illustrés sur les questions liées au numérique avaient quitté la salle, les législatives de 2024 ont relativement épargné les spécialistes de la tech. Et ce malgré la spectaculaire restructuration de l’Assemblée nationale en trois grands blocs, dominés par le Nouveau Front populaire et caractérisés par le renforcement des forces du RN et le rétrécissement des soutiens à Macron.
Les « piliers » tous renouvelés
Les quatre députés les plus en vue du secteur ont tous été réélus. Élus avec 60,9% des voix au second tour en Vendée, Philippe Latombe (Modem) revient pour aborder, entre autres, les questions de souveraineté numérique, de protection des données personnelles – il est membre du collège de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) -, nuage et la cybersécurité.
Il est rejoint par les Macronistes Éric Bothorel (Côtes-d’Armor) et Paul Midy (Essonne). Tous deux candidats malheureux au portefeuille du gouvernement lors des remaniements de juillet 2022 puis en début d’année, ils ont été réélus dans leur fief avec respectivement 41,2 % (dans une course à trois) et 51,7 % des voix. Le premier est un spécialiste tout terrain, aussi à l’aise sur les réseaux télécoms, la cybersécurité ou la French Tech. Le second s’est attaqué aux questions de financement des startups et de l’innovation, via un rapport remarqué dans lequel il proposait la réforme du dispositif Jeune Entreprise Innovante (JEI) pour labelliser environ 2 000 startups supplémentaires par an, avec à la clé un accompagnement dans la levée de fonds, le recrutement, la gestion de la trésorerie et l’accès aux commandes publiques.
Enfin, Jean-Noël Barrot (Yvelines), ministre déléguée au Numérique de juillet 2022 à février 2024, a été largement réélue. Très appréciée de l’écosystème tech, la vice-présidente du MoDem et proche de François Bayrou a marqué les esprits grâce à la loi SREN (Sécuriser et réguler l’espace numérique). Si le texte a été définitivement adopté par son successeur en avril dernier, c’est lui qui avait mis en œuvre ses principales dispositions, notamment le filtre anti-arnaque, le blocage rapide des sites pornographiques accessibles aux mineurs, la peine de bannissement des réseaux sociaux pour les cyberharceleurs, ou encore la lutte contre certaines pratiques anticoncurrentielles dans le cloud.
Ministre délégué aux Affaires européennes depuis le début de l’année, Jean-Noël Barrot a conservé un intérêt marqué pour les questions liées au numérique, notamment les ingérences étrangères via les réseaux sociaux et les réglementations européennes sur le numérique (DSA, DMA, AI Act). Mais rien ne garantit qu’il privilégiera les questions technologiques aux enjeux internationaux, conformément à son héritage familial, une fois redevenu député.
La même question se pose pour Marina Ferrarielle aussi membre du MoDem. L’éphémère secrétaire d’Etat au Numérique pendant cinq mois n’a guère eu le temps de prendre ses marques et son bilan restera très maigre. D’autant que la Savoyarde, réélue avec 58,1% des voix dans sa circonscription, ne s’était jamais préoccupée des questions numériques au Palais Bourbon avant d’entrer au gouvernement. Le fera-t-elle après son passage à Bercy ?
Les commissions spécialisées peu perturbées
A l’exception de ces piliers, peu de députés se sont illustrés médiatiquement depuis 2022 sur les enjeux numériques, pourtant cruciaux pour la transformation de l’économie et la souveraineté technologique de la France et de l’Europe.
En revanche, ces sujets sont au cœur de deux organes de l’Assemblée : le Comité supérieur du numérique et des postes (CSNP), et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).
Composé de 7 députés et 7 sénateurs (ainsi que 3 personnalités indépendantes), le CSNP a perdu l’inébranlable Mireille Clapot (Renaissance), battu au premier tour dans la Drôme. Discret mais actif, l’élu s’est particulièrement investi sur les questions liées à la désinformation et aux réseaux sociaux. Si le député Xavier Batut (Horizons) a également été battu au second tour en Seine-Maritime, les cinq autres membres élus de la Commission ont été réélus. Parmi eux, Aurélien Lopez-Giguori (RN, élu dans l’Hérault) est l’un des seuls députés d’extrême droite familier des questions numériques et actif sur le sujet. Anne Le Hénanff (Horizons), Sophia Chikirou (LFI), Stéphane Travert (Renaissance) et Angélique Ranc (RN) ont également été reconduits dans leurs fonctions.
Même renouvellement massif pour les membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Leur mission : informer le Parlement – l’Assemblée nationale et le Sénat – des conséquences des choix scientifiques et technologiques dans les politiques publiques, afin d’éclairer ses décisions. Situés à l’interface entre le monde politique et le monde de la recherche, ces députés jouent le rôle d’interlocuteurs reconnus par l’ensemble de la communauté scientifique. Depuis 2022, ils travaillent principalement sur les liens entre les choix technologiques et les enjeux d’énergie, de santé et d’environnement.
Sur 18 députés, 15 ont été réélus. Trois des quatre vice-présidents –Pierre HenrietHorizons), Jean-Luc Fugit (Renaissance) et Gérard Leseul (PS) – ont été réélus et ont été parmi les membres les plus actifs. Les députés Philippe Bolo (Modem), Christine Arrighi (EELV), Olga Givernet (Renaissance) ou même Mereana Reid Arbelot (du parti Tavini en Polynésie française) se sont également distingués par des rapports et ont été réélus. Parmi les trois battus, Huguette Tiegna (Renaissance dans le Lot) avait notamment travaillé sur l’innovation dans la loi de programmation militaire, tandis que l’avocat Victor Habert-Dassault (LR), héritier politique de la dynastie Dassault dans l’Oise, s’était penché sur la loi SREN et la lutte contre les arnaques sur les réseaux sociaux.
La gauche devra se révéler
Seul bémol : à quelques exceptions près, les élus de gauche et du RN ne sont plus présents sur les questions numériques depuis 2022. Pourtant, certains d’entre eux, comme LFI Ugo Bernalicis (expert Internet et jeux vidéo) ou encore Danielle Simonnet (qui a travaillé sur l’économie des plateformes numériques) ne manquent pas de compétences ni d’intérêt pour ces questions cruciales, mais ont choisi de se concentrer sur d’autres sujets, peut-être plus médiatiques, dans l’hémicycle.
Si le RN ne semble pas capable de faire partie d’un gouvernement, la gauche, arrivée en tête des élections avec le Nouveau Front populaire, devra faire émerger de nouvelles figures pour incarner ces enjeux à l’Assemblée nationale. D’autant que le « contrat législatif » du Nouveau Front populaire comporte quelques dispositions sur le numérique, essentiellement dans le sens d’une souveraineté numérique renforcée (création d’une agence publique du logiciel libre), et d’une plus grande régulation des risques des technologies, à l’échelle européenne et française (mission nationale de contrôle de l’intelligence artificielle, interdiction de la reconnaissance faciale, plan sur l’impact du numérique sur la santé ou à l’école).