La pistache, l'avenir de l'agriculture
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La pistache, l’avenir de l’agriculture

La pistache, l’avenir de l’agriculture

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Lauris (Vaucluse), report

D’un pas rapide, Aurélien Le Tellier traverse les rangées de jeunes arbres, à peine plus hauts que lui. Ils ont une allure inhabituelle, dans ce Lubéron où poussent principalement la vigne, l’olivier et le cerisier. Il se dirige vers l’un d’eux, chargé de grappes de raisin. Les petits fruits vert clair, certains commençant à rougir, sont fermes et pointent vers le ciel. Ils s’épanouissent parmi les feuilles épaisses, ovales, presque rondes, comme de grosses pièces de monnaie. «  Je ne m’attendais pas à en avoir cette année »se réjouit l’agriculteur qui cultive le Domaine de l’or vert. A la fin de l’été, il aura l’une des premières récoltes françaises de pistaches.

Pour l’instant, la France importe la totalité des pistaches qu’elle consomme, à raison de 8 000 tonnes en 2022, selon les statistiques de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Ils proviennent principalement des Etats-Unis, ainsi que d’Espagne, d’Italie, de Turquie, d’Iran. Cependant, l’arbre est méditerranéen, et sa culture existait en France. «  Elle a disparu dans les années 1950 »explique Jean-Louis Joseph, agriculteur et vice-président de l’association Pistache en Provence.

Il fait partie du petit groupe motivé qui a décidé de replanter des pistachiers en France. L’idée lui a été suggérée par un entrepreneur bien connu du sud de la France : Olivier Bossan, fondateur de la marque de cosmétiques L’Occitane et propriétaire de la chaîne de confiseries Le Roy René. «  Il a acheté ses pistaches en Californie et a demandé à un groupe d’agriculteurs de relancer la culture ici. »explique Jean-Louis Joseph. Il a très vite répondu à la demande. En 2019, il a planté ses premiers pistachiers, dont il cultive aujourd’hui 5 hectares en bio à La Bastidonne, dans le Vaucluse.

Aurélien Le Tellier devant un de ses pistachiers.
© Maïté Baldi / Reporterre

Une dynamique qui s’est rapidement propagée dans ce département, puis au-delà. L’association Pistache en Provence estime qu’au moins 450 hectares de pistachiers ont déjà été plantés en France par une soixantaine d’agriculteurs. «  On devrait même atteindre 600 hectares »ajoute Maxence Brenguier, salarié des Pépinières du soleil à Venasque, dans le Vaucluse, qui voit le nombre de plants de pistachiers vendus augmenter sans cesse.

La pépinière commence à produire ses propres pistachiers, mais revend principalement des plants importés. «  Cette année, nous en avons déjà 20 % de réservations en plus par rapport à l’année dernière. Elle se développe sur tout le pourtour méditerranéen, même dans le sud de l’Ardèche, dans la Drôme, le Gers. Nous avons des essais dans des endroits improbables ; quelqu’un a planté 400 plantes l’année dernière entre Paris et Lille »Sa patronne, Georgia Lambertin, qui fait aussi partie de la poignée de pionnières, est partie à l’étranger à la recherche de variétés et de plants de pistachiers.

Au moins 450 hectares de pistachiers ont déjà été plantés en France.
© Maïté Baldi / Reporterre

Résistant à la sécheresse

Faire revivre la filière pistache en France est un défi auquel Aurélien Le Tellier n’a pas hésité à se prêter dès sa rencontre avec ces pionniers. Il réajuste ses lunettes de soleil sur ses yeux bleus plissés par le soleil. Cela lui donne une allure sportive, à l’image de son tempérament fonceur. «  Quand j’ai planté les arbres, je voulais être parmi les premiers. Je me suis dit qu’au pire, j’aurais reboisé 2 hectares dans le Lubéron, et au mieux, j’aurais contribué au retour du pistachier en Provence. ! »dit-il en riant.

Finalement, ses pistachiers l’ont récompensé. L’arbre met environ six ans à donner des fruits. Il n’a dû attendre que quatre ans, et espère avoir sa première petite récolte cette année. Sur ses deux petites parcelles, le jeune agriculteur de 35 ans espère récolter au moins 50 kilos. De quoi faire goûter à de potentiels futurs clients. Il cueille un fruit vert. «  Vous voyez, la pistache se forme début avril et atteint sa taille finale assez rapidement. »il montre avant de l’ouvrir. Début juillet, la coquille n’a pas encore fini de durcir. «  A l’intérieur, la pistache est encore petite, elle est en phase de croissance. » Le fruit est mûr lorsque l’enveloppe devient rouge.

Dans quelques années, les arbres seront en pleine production. «  A long terme, si j’arrive à produire 1 tonne par hectare, au prix des pistaches, ce sera rentable. »espère-t-il. Nos différents interlocuteurs affirment que l’an dernier, les premières pistaches françaises ont été vendues 50 euros le kilo, à des pâtissiers et restaurateurs haut de gamme notamment.

À l’intérieur de l’insecte, le fruit n’est pas encore développé.
© Maïté Baldi / Reporterre

Pour Aurélien, la pistache n’est pas seulement un défi ludique, c’est aussi un projet nécessaire à l’heure où les crises économiques et climatiques frappent l’agriculture. Il est déjà vigneron, et cultive en complément quelques oliviers. «  La vigne souffre, certaines récoltes sont mauvaises. On a du mal à vendre du vin, les gens consomment moins. On a aussi de moins en moins d’olives. »observe-t-il. La pistache pourrait donc lui apporter un revenu complémentaire non négligeable dans quelques années.

«  Et puis, c’est une des bonnes cultures face au changement climatique »Il poursuit. L’une de ses qualités est sa résistance à la sécheresse. «  Le pistachier aime les sols bien drainés et déteste l’excès d’eau, sinon il souffre d’asphyxie racinaire. Les pistachiers sauvages poussent dans la garrigue entre deux pierres. » Son verger, contrairement à d’autres, n’est pas irrigué. Un choix dont il se réjouit aujourd’hui. «  J’ai remarqué que le pistachier pousse quand il fait chaud et sec. De plus, j’ai un voisin qui irrigue ses arbres et ils sont moins développés même si nous les avons plantés en même temps ! » Pour preuve, il montre un arbre plein de nouvelles pousses aux feuilles encore oranges.

Sur ses parcelles, Aurélien Le Tellier espère récolter au moins 50 kilos de pistaches.
© Maïté Baldi / Reporterre

«  Avec le changement climatique, on ne peut plus rien prévoir, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier : c’est ce que je dis aux agriculteurs. »approuve Nicolas Vaysse, conseiller technique à la Chambre d’agriculture du Vaucluse, notamment en charge de l’accompagnement des agriculteurs se lançant dans la pistache. «  itinéraire technique » a été défini. Il se réjouit que contrairement à la Californie ou à l’Espagne, avec leur monoculture intensive, la France se tourne davantage vers une culture agroécologique.

Moins de pesticides, moins de carburant

Le pistachier est un arbre rustique qui s’y prête bien. % des producteurs qui se sont lancés sont en bio, nous informe l’association Pistache en Provence. «  Il n’a que deux inconvénients : il n’aime pas les sols qui retiennent l’eau et il a besoin du vent pour la pollinisation. »souligne le technicien.

Ensuite, outre son faible besoin en eau, «  il y a très peu de nuisibles, donc on utilise très peu d’intrants (pesticides) »et tailler l’arbre fruitier n’est pas «  pas très compliqué »Une facilité qu’Aurélien Le Tellier, déjà très occupé par son travail, a remarquée. «  Le temps de travail est bien moindre que dans la vigne. La consommation de carburant est également moindre. ! » Il avoue avoir oublié un seul détail important lors du choix de cet arbre fruitier : «  Les vendanges arrivent à point nommé pour les vendanges… »

Il se penche à nouveau vers un arbre et compte les bourgeons, distinguant ceux «  bois » qui fera les futures branches et celles «  fruit »qui permettent de prévoir la récolte de l’année prochaine. Celle-ci est abondante. Dans les années à venir, les jeunes vergers français produiront des rendements conséquents. Une fois cueillie, la pistache doit être décortiquée – une bavure recouvre sa coque dure – et séchée dans les 48 heures. Lorsqu’elle est vendue pour être cuite ou cuisinée, elle doit être décortiquée et cassée.

Champ de pistachiers d’Aurélien Le Tellier, de la variété Aegina, une pistache grecque originaire de l’île du même nom.
© Maïté Baldi / Reporterre

L’association Pistache en Provence, toujours avec une longueur d’avance, commence donc à réfléchir à l’ensemble de la filière. «  Nous avons un projet d’usine de broyage en discussion avec nos collègues des amandiers, car l’équipement peut être adapté aux deux fruits. »observe son vice-président Jean-Louis Joseph. Pour la vente, «  nous évoluons vers un marché très qualitatif »observe Nicolas Vaysse, de la Chambre d’agriculture du Vaucluse. «  Nous aimerions mettre en place un IGP (indication géographique protégée) pour se démarquer. »

De nombreux projets alors que pour l’instant, les plantes d’Aurélien Le Tellier peinent encore à nous protéger du soleil. Ce qui ne l’empêche pas de voir loin. «  Lorsque je les ai plantés, je me suis dit qu’un jour, avec mes petits-enfants, je viendrais m’asseoir à leur ombre. »il se réjouit.

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