« Quand je dessine, je ne pose pas simplement mon crayon sur une feuille, j’engage ma façon de voir le monde, mon quotidien, mes souvenirs. Tout le monde n’a pas les mêmes références, ce sont des choix. » Elodie, designer sur un long métrage pour un studio d’animation, s’inquiète, comme de nombreux artistes, de voir l’impact grandissant de l’intelligence artificielle (IA) sur l’intégrité avec laquelle elle exerce son métier : « Ces outils virtuels ne font que reprendre les œuvres d’artistes bien réels »se souvient la jeune femme, qui préfère rester anonyme par peur de » harcèlement « sur les réseaux sociaux.
Dans une culture où la créativité est essentielle, l’indépendance des salariés vis-à-vis des outils d’IA est souvent revendiquée avec insistance. Pourtant, cette réflexion imprègne de nombreux autres secteurs – des traducteurs aux avocats, des codeurs informatiques aux responsables RH – où la valeur du travail comme expression de soi, de ses compétences et de son expérience est remise en question. « Le traducteur est toujours là. Mais c’est son métier qui change », souligne, pour sa part, Daphné Charpin-Lèbre, directrice de l’agence ACSTraduction.
Les chiffres
75%
C’est la part des décideurs qui citent « l’amélioration des performances des salariés » comme raison de recourir à l’IA, selon une étude qualitative de LaborIA-Explorer sur l’impact de l’IA sur le travail, publiée en mai 2024 et réalisée sur deux ans auprès de plusieurs parties prenantes (décideurs, salariés, ingénieurs, designers) au sein de différentes organisations (entreprises privées, administrations).
71%
C’est la part des salariés américains qui se disent préoccupés par les considérations éthiques et morales liées à l’utilisation de l’IA, selon l’enquête « AI Anxiety in Business » du cabinet d’audit EY, publiée en décembre 2023.
Ces dernières années, elle a constaté la perte de compétences dans cette profession, par ailleurs fortement investie dans l’IA. « Avant, j’envoyais des textes en français à des traducteurs et ils les traduisaient en anglais. Aujourd’hui, les textes sont pré-traduits et leur travail consiste davantage à vérifier si la proposition du logiciel est correcte qu’à réfléchir à la construction de la phrase. Beaucoup souffrent. »affirme celle qui est également traductrice assermentée près la cour d’appel de Grenoble.
« Ces outils nous ont été imposés par les grandes structures du secteur. Depuis cinq ou six ans, les prix ont baissé de près de 30 %, et il faut donc aller plus vite. Les tournures de phrases sont généralement justes, mais elles sont toujours les mêmes », ajoute-t-elle, pointant une perte de richesse dans la langue.
Les employés et les outils d’IA
Dans de nombreux cas, les partisans de l’IA opposent l’intelligence humaine à l’intelligence des machines, vantant la fiabilité supposée supérieure mais aussi la plus grande compétitivité de cette dernière : « C’est une manière de séduire l’acheteur et donc le chef d’entreprise au détriment du travailleur », insiste Yann Ferguson, directeur scientifique de LaborIA, laboratoire de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria). En pratique, « Il faudrait parvenir à combiner ces deux intelligences pour éviter l’établissement de configurations aliénantes entre l’homme et la machine. ». C’est dans cette circulation que réside une autonomie possible »estime cet expert sur l’impact de l’IA sur le travail.
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