La Nouvelle-Calédonie entre violence et paix
L’actualité relativisée chaque samedi, grâce à l’historien Fabrice d’Almeida.
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Cette semaine, la Nouvelle-Calédonie a été embrasée. La violence et la paix n’ont cessé d’alterner sur ce territoire depuis que la France en a pris possession en 1853. Certes, à cette époque, les choses se déroulaient plutôt paisiblement. Les Kanaks avaient déjà été en contact avec des missionnaires et certains avaient embrassé le christianisme. Qui plus est, les premiers colons sont peu nombreux.
Pour renforcer la population, l’idée naît dix ans plus tard de créer une colonie pénitentiaire sur ce territoire lointain. Des opposants algériens, des prisonniers de droit commun et surtout des communards s’y sont retrouvés. Certaines tribus kanak s’allièrent aux nouveaux venus, d’autres les rejetèrent. Sous prétexte d’aménager le territoire et de protéger leurs droits, les Kanak sont confinés dans des réserves censées correspondre à leurs terres coutumières, en réalité des espaces restreints.
La tension monte entre colons et autochtones. Elle explose en 1878. Le chef de tribu Ataï rassemble plusieurs villages et groupes et lance une offensive contre les colons, suivie de plusieurs massacres. L’armée, ses auxiliaires kanak et même les bagnards mènent la contre-offensive. Ataï est tué par un Kanak qui lui coupe la tête en guise de trophée. Elle sera envoyée en France pendant plus d’un siècle avant d’être rendue à sa famille.
La répression s’abat sur les indigènes, la domination coloniale bat son plein. Cette paix forcée dura jusqu’à la Grande Guerre. La France fait alors miroiter d’éventuelles concessions de citoyenneté en échange d’engagements dans l’armée, mais elle ne change pas le code de l’indigénéité qui ne donne pas de réelle citoyenneté aux Kanaks.
L’archipel choisit la France Libre en 1940. Surtout, en 1942, les Américains y installent une base stratégique dans la guerre du Pacifique. La puissance française est remise en question et les soldats de l’Oncle Sam dépensent généreusement de l’argent pour payer à la fois les vieux colons Caldoche et les indigènes. Les Kanak entrent véritablement dans l’économie de marché avec un autre modèle de citoyenneté. En effet, après 1945, les Kanak obtiennent progressivement le droit de vote et commencent à exprimer leur voix en politique. D’autres groupes sont venus s’installer au Caillou, comme les pieds-noirs après la fin de la guerre d’Algérie. Caldoches et nouveaux venus convergent vers le parti créé par Jacques Lafleur en 1977, le RPCR, la version locale du RPR de Jacques Chirac. Pour eux, la colonisation a fait progresser le pays et rien n’est dû aux anciens occupants du territoire.
A l’inverse, les Kanaks, victimes de la colonisation, pensent que l’heure de l’indépendance est venue, comme leurs voisins des Nouvelles-Hébrides ou des Fidji. Ils organisent un mouvement indépendantiste à l’instar des Antillais et des Corses, avec lesquels ils correspondent, et créent le FNLKS en 1984. Ces derniers organisent la même année le gouvernement provisoire de Kanaky. Blocages, barrages routiers, la situation ressemble à ce qui se passe sous nos yeux aujourd’hui. Fusillades, morts, état d’urgence, envoi de troupes… Le drame culmine en 1988, entre les deux tours de l’élection présidentielle. La répression absurde, décidée par Bernard Pons et Jacques Chirac, d’une prise d’otages dans la grotte d’Ouvéa a entraîné la mort de 19 indépendantistes et de deux gendarmes. Cela montre l’abîme où le territoire peut tomber. Juste après, à l’initiative de Michel Rocard, les dirigeants des deux partis se réunissent pour négocier et finissent par signer les accords de Matignon et de la rue Oudinot, qui ouvrent la voie à la paix. Jacques Lafleur pour le RPCR et Jean-Marie Tjibaou pour le FNLKS ont négocié 15 jours pour y parvenir. L’accord repose sur un pardon mutuel, le gel du corps électoral et des votes d’autodétermination reportés dix ans plus tard. L’objectif est que les deux groupes finissent par former un peuple, au fil du temps. Et que les inégalités de la colonisation soient corrigées. Les Kanaks obtinrent ainsi la gestion d’une partie du nickel.
L’indépendance progressa donc lentement. Malheureusement, le gel du corps électoral a été remis en cause car de nouvelles personnes sont venues s’installer sur le territoire. En voulant leur accorder le droit de vote aux élections locales, l’équilibre a été rompu. Les Kanaks ont l’impression que l’horizon de naissance de leur pays s’éloigne, sans concertation. Il faut donc restaurer un cadre qui puisse les rassurer et forcer les acteurs locaux à rechercher le consensus. Sinon, la violence risque de s’installer. Et c’est tout le peuple calédonien qui en souffrira.