« La nonchalance est mon but dans la vie », assure l’écrivain Philippe Jaenada
Pour décrire qui est Philippe Jaenada, un seul mot suffit : l’écriture. Celle qui est innée, habitée, incarnée, vécue, informée. Oui, c’est un obsessionnel du texte et il aime nous faire rire depuis 1997, date à laquelle il a publié Le chameau sauvageson premier roman, qui lui a valu le Prix de Flore. Vingt ans plus tard, cette plume a signé La faucille avec le prix Femina à la clé. Aujourd’hui, il publie : La désinvolture est une belle chose. aux éditions Mialet-Barrault. L’histoire vraie de Jacqueline Harispe, surnommée Kaki, qui s’est jetée par la fenêtre à l’âge de 20 ans sur un trottoir derrière le cimetière du Montparnasse.
franceinfo : A partir de ce suicide, de cette disparition et lors d’un voyage à Dunkerque, vous avez décidé de retracer, de nous raconter cette histoire assez rocambolesque, un peu à la manière d’un enquêteur. Votre vocation vous a-t-elle alors manqué ?
Philippe Jaenada : J’espère que non ! Blague à part, on me dit souvent : «Tu aurais fait un bon policier, un bon avocat, etc.« Non, en fait non. Je suis un policier amateur, un avocat amateur, un historien amateur ou un journaliste, si vous voulez. C’est tout ça qui fait un écrivain, c’est un peu le décathlon, c’est-à-dire que c’est plusieurs disciplines en une, mais je ne pense pas que j’aurais pu être un policier ou un avocat remarquable.
Là où ce livre est très fort, c’est dans cette capacité qu’il fallait raconter l’histoire pour écarter les jugements d’un revers de la main. Elle est morte en 1953 et vous partez de la guerre. Vous parlez des erreurs qu’on peut faire quand on est trop jeune dans une situation assez exceptionnelle. Et elle a dû passer par là. Elle a dû vivre avec le jugement des autres, avec une vie qu’elle n’avait pas forcément décidée mais qui était une vie pour survivre, tout simplement.
Souffrir est vraiment le mot juste car je me suis rendu compte, en m’intéressant à elle et aux gens qui l’entouraient dans ce petit bistrot de la rue du Four, que c’était une génération très particulière. Ce sont des gens qui sont nés entre 1932, 1935…
« Pas d’avenir« , c’est ce que tu dis.
Oui, et surtout, ils n’ont pas eu d’enfance. Ils avaient dix ans pendant l’Occupation. Quand on est bébé pendant l’Occupation, on ne se rend compte de rien. Si on a 16, 17 ans, on se rend compte de ce qui se passe et on peut agir. On peut devenir résistant, collaborateur, ce qu’on veut, mais on peut agir. A dix ans, on se rend compte de tout ce qui se passe et on ne peut rien faire. Tous ces jeunes qu’on a retrouvés au début des années 50 à 16, 17 ans dans ce bistrot, ont essayé de recréer là une enfance avec des jeux, de l’amour, tout ce qu’ils n’avaient pas à dix ans. Ils ont essayé de rester, de vivre cette enfance, à cet âge-là, on peut encore avoir l’illusion qu’on est un enfant et puis après ça se complique.
Et vous, comment s’est passée votre enfance ?
« J’ai eu une enfance idyllique. En fait, parfois, elle m’intrigue. »
Philippe Jaenadaà franceinfo
J’essaie toujours de comprendre ce que vivent les autres. Je voulais savoir pourquoi Kaki était si désespérée qu’elle s’est jetée par la fenêtre. Peut-être que je devrais me poser des questions parce que je me trouve un peu bizarre. J’espère être une personne gentille et tout ça, mais je me sens bizarre. Et pourtant, il n’y a pas de raison a priori, ce qui prouve que tout ne s’explique pas. En tout cas, j’espère que dans 70 ans, quelqu’un écrira un livre sur moi et mon enfance.
Ce qui ressort vraiment, c’est votre capacité à ressentir des émotions. Vous dites d’ailleurs que vous avez parfois essayé d’éviter d’absorber un certain nombre de choses par peur de perdre votre point de vue de juge et de jury. Est-ce que cette histoire vous permet aussi de vous épanouir vous-même ?
Oui. En tout cas, je sais que j’en ressors modifiée, plus ou moins transformée. Ça m’apporte… Comme lire un livre, c’est le même principe. C’est pour ça que j’aime tant la littérature. Grandir, je ne sais pas, mais en tout cas évoluer, pas forcément dans un sens flamboyant, mais évoluer et continuer ma vie.
Vous vous engagez constamment dans des recherches incroyables. Il semble que vous soyez en quête d’une forme de légitimité permanente.
Je ne suis donc pas sûr que ce soit légitime. Tout d’abord, cela m’amuse et c’est un truc d’enfant. Je me souviens quand j’étais petite, Gadget PifJe lisais les enquêtes de l’inspecteur Ludo. C’est un truc vraiment amusant. Et puis l’autre chose, c’est que je me suis rendu compte avec le temps que la vérité ou la solution, si vérité ou solution il y a, est toujours dans les détails, dans les toutes petites choses. Et à chaque fois c’est pareil, mais presque physiquement, c’est-à-dire qu’un dossier qui peut faire 3000, 4000 pages, il y a toujours des pages au fond, que les gens qui ont travaillé dessus avant moi, n’ont pas eu le temps d’aller chercher ou d’aller décortiquer, etc.
Qu’est-ce que la désinvolture ?
La désinvolture, c’est mon but dans la vie. C’est difficile d’atteindre la désinvolture. Pendant l’écriture du livre, j’ai fait le tour de la France en 24 jours et je me suis sentie, pour une des rares fois de ma vie, absolument désinvolte. Je n’avais rien à faire, je n’ai pas de portable donc personne ne pouvait me joindre, et j’ai vraiment ressenti une sorte d’insouciance, de liberté. Donc, ça ne peut durer que 24 jours, on ne pourrait pas vivre comme ça tout le temps, mais voilà, j’aurai vécu 24 jours de désinvolture totale dans ma vie. Et pendant ce temps-là, je parlais de cette histoire qui est sombre, le titre est évidemment un peu pince-sans-rire, parce que tous ces jeunes et Kaki en particulier n’ont effleuré la désinvolture que du bout du doigt et très brièvement.
Grb2