La Mort de César, un meurtre fondateur
Depuis quelque temps, un cartel de frustrations, d’illusions vaines et de vieilles rancunes latentes réunissait en secret plusieurs noms éminents de l’aristocratie sénatoriale : des césariens déçus de n’avoir pas été suffisamment payés pour leur soutien, comme Decimus Brutus, d’anciens partisans de Pompée, et surtout des proches de la clique familiale de Caton, l’austère conservateur qui avait préféré le suicide à la soumission. Cassius était de ceux-là.
Parmi toutes ces personnalités, la plus symbolique était celle de Marcus Junius Brutus, réputé pour son intégrité et son esprit élevé. Il était le garant moral du complot. Son emblème aussi, car le jeune homme était censé descendre du Brutus qui avait jadis mis fin à la tyrannie des Tarquins en chassant de Rome les derniers rois étrusques. Les bonnes âmes ne cessaient de l’exalter en lui rappelant cet exemple familial lointain. Les conjurés avaient préféré ne pas associer Cicéron à leur projet, jugeant le consulaire trop faible. Le complot n’avait d’ailleurs que trop pris d’ampleur, risquant de compromettre son exécution et ses participants. Il fallait agir au plus vite.
Il fut décidé que le lieu et le moment les plus appropriés seraient une session du Sénat, qui se tiendrait aux ides de mars.
Cependant, l’entreprise fut évitée de justesse d’être tuée dans l’œuf, et c’est une succession de coïncidences et d’actions manquées qui conduisit néanmoins César à son funeste destin. La nuit précédente, sa femme Calpurnia avait eu un sommeil troublé par des rêves prémonitoires et de sombres pressentiments. Convaincu au matin de se rendre quand même au Sénat, César fut abordé en chemin par un ami grec qui voulut le prévenir de ce qui se tramait contre lui en lui glissant un billet dans la main. Pressé par la foule des solliciteurs et des flatteurs, le dictateur n’eut pas le loisir de lire le message ; il l’aurait encore tenu dans sa main au moment où les lames le transpercèrent.
On imagine aisément l’état de grande fébrilité qui agitait les conjurés, et leur soulagement lorsqu’ils virent enfin le dictateur entrer dans la curie où l’attendait la foule des sénateurs. Comme convenu, l’un d’eux, Trébonius, prit à part pour on ne sait quelle raison le consul Marc Antoine, afin qu’il ne pût venir au secours de son ami. Les autres entourèrent César, le saisissant par la manche sous prétexte de plaider la cause de quelque personne disgraciée. Très vite les poignards cachés sous les plis de leurs toges jaillirent.
Vingt-trois fois, dans une mêlée soudaine et brutale, le conquérant des Gaules fut mortellement blessé. Il ne put que se couvrir la tête de son manteau pour protéger son visage, avant de s’effondrer, couvert de sang, au pied de la statue de Pompée, son ancien rival défunt.
Dans la curie, en quelques instants, la confusion fit place à la stupeur. Puis la stupeur à la panique. D’abord paralysés, les nombreux sénateurs présents prirent la fuite, chacun craignant pour sa vie. C’est dans ce tumulte répandu à grande vitesse dans toutes les rues de la ville que les conjurés apparurent sur le Forum, avant de monter par précaution se retrancher sur le Capitole, escortés par la troupe de gladiateurs de Decimus Brutus. Dans la journée et jusqu’au soir, ils reçurent la visite des ralliés de la « onzième heure » volant au secours de ce qu’ils croyaient être la victoire.
« Un acte accompli avec le courage d’un homme, mais avec l’intelligence d’un enfant » : le jugement de Cicéron quelques semaines plus tard fut aussi cruel que lucide. Les conjurés avaient pensé qu’il suffisait de tuer César et de proclamer qu’ils avaient libéré Rome d’un tyran pour que la République retrouve sa voie vertueuse et ancestrale. Mais éliminer César ne suffisait pas à détruire le césarisme. Et au soir même du meurtre, la légalité républicaine était encore incarnée par le consul Marc Antoine, tandis que Lépide, le maître de cavalerie qui secondait le dictateur défunt, restait investi du commandement des troupes qu’il avait postées sur le Forum et dans tous les lieux stratégiques de la cité. Le pouvoir de la loi et la force armée étaient donc aux mains des deux premiers lieutenants de César.