« La mobilisation des jeunes pour Gaza n’est pas révolutionnaire, elle est morale »
Oui cela a-t-il une incidence sur le conflit israélo-palestinien en France ? Les divisions de la société française reflètent-elles les divisions géostratégiques du Moyen-Orient ? L’extrême droite idéologique et La France insoumise partagent la même vision : la solidarité avec la Palestine touche principalement les jeunes issus de l’immigration, soutenus par des militants progressistes habitués à tous les combats anti-impérialistes. L’extrême droite pour le déplorer et annoncer la guerre civile à venir, La France insoumise pour se constituer un capital électoral à peu de frais.
Dans le monde académique, cette confluence des crises du Moyen-Orient à la France est soutenue, entre autres, par deux islamologues, François Burgat à gauche et Gilles Kepel à droite : la question de Gaza serait au cœur des fractures françaises, reflets des grandes divisions de notre planète, depuis le 11 septembre 2001, entre l’Occident postcolonial et le monde du Sud.
Pourtant, si l’on prend la peine d’y regarder de plus près, les choses sont bien différentes. Il y a certainement une mobilisation bruyante de la jeunesse en faveur de Gaza. Mais elle touche avant tout le milieu étudiant, notamment dans les établissements d’élite (Sciences Po, Ecole Normale Supérieure) où la proportion de musulmans semble faible, comme je l’ai observé. Les universités, où se concentre la masse des jeunes immigrés de deuxième génération, ne semblent pas être au cœur de la mobilisation. Le constat selon lequel la mobilisation touche principalement les élites étudiantes n’est pas strictement français : on le retrouve partout en Occident, à commencer par les États-Unis, où l’université de Columbia est le pendant de Sciences Po.
Par ailleurs, il n’y a pas de manifestations pro-palestiniennes dans les banlieues. Il faut rappeler ici qu’il n’y a jamais eu d’Intifada à la française : toutes les émeutes de banlieue depuis 1984 ont été liées à la mort d’un jeune lors d’un affrontement avec la police, sur les modèles de révolte des mouvements noirs américains, et non un écho aux révoltes palestiniennes. Non, la Palestine ne jette pas les masses dans la rue, même si la désapprobation de la politique du gouvernement israélien augmente de plus en plus.
Moralisant
Alors quelle est la nature de cette mobilisation ? Elle reste enfermée espaces sûrsc’est-à-dire dans les lieux entre soi, celui des campus, comme le furent les manifestations des « places » après 2011, de la place Tahrir, au Caire, à la Nuit Debout. (en 2016, après une manifestation sur la loi « travail » en France) ou occupez Wall Street (dénonçant, en 2011, les dérives du capitalisme financier aux Etats-Unis). Elle est paisible, voire polie. J’étais étudiant au Quartier Latin, en mai 1968, et je peux affirmer que ma génération était beaucoup plus violente (on résistait aux attaques policières) et beaucoup plus offensive (on allait dans les usines, on faisait semblant de rejoindre la guérilla du monde). entier, de la Bolivie au Dhofar (Oman)). Je ne justifie pas ces violences passées, je dis simplement qu’il faut savoir entretenir la raison pour qualifier le mouvement actuel.
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