ENTRETIEN – Alors que la polémique grandit autour de l’Ozempic, médicament réservé aux diabétiques et utilisé à mauvais escient pour ses effets coupe-faim, Margaux Merand (1), docteur en philosophie et psychopathologie, psychanalyste, décrypte notre obsession de la minceur.
Madame Figaro .- Comment en arrivons-nous à prendre des risques ou à nous maltraiter, juste pour être plus mince ? ?
Margaux Merand.- On l’envisage à partir du moment où l’on se dit qu’il s’agit d’une solution unique (et finalement assez économique) à tous les problèmes que l’on rencontre. Quand on se sent impuissant à entreprendre un travail en profondeur, ou à reprendre le contrôle d’autres domaines de notre existence, comme le travail ou la sphère interpersonnelle, le corps apparaît, lui, très directement « contrôlable ». Il est rassurant. D’où cette idée fixe associée à la minceur – et une forme de pensée magique.
À quoi fait référence la minceur ? De quoi est-ce le signe ? ? De la richesse ? Autrefois, il fallait être grosse pour être belle…
Oui ! C’est une évolution que met en évidence, entre autres, la sociologue Muriel Darmon. La minceur est associée à des valeurs de discipline, de maîtrise intellectuelle, de domination des besoins et des affects, qui peuvent être perçues comme honteuses. Elle est associée à l’appartenance à une classe sociale élevée et vue comme un facteur d’ascension sociale.
Dans le « body positivisme » comme dans l’obsession de la minceur, le corps est « travaillé »
Margaux Merand, docteur en philosophie et psychopathologie
Paradoxalement, on entend partout qu’il faut accepter son corps, mais l’obsession de la minceur n’a jamais été aussi grande…
Ce paradoxe relève d’une seule et même idéologie : aujourd’hui, nous voyons notre corps comme un business, ou comme un capital. Dans le « body positivisme » comme dans l’obsession de la minceur, le corps est « travaillé », utilisé sans cesse pour signifier quelque chose. Ce qui est présenté comme un remède (aimer son corps de manière inconditionnelle) participe en réalité de la même aliénation. Il s’agirait plutôt de réussir à ne pas indexer sa valeur personnelle sur l’image de son corps…
(1) Margaux Merand est l’auteur de La maladie du faux soi, Éditions Hermann, 2023.
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