TRIBUNE- D’ici 2030, selon l’OMS, 1,2 milliard de femmes seront âgées de 50 ans et plus et pourront espérer vivre plusieurs décennies après la ménopause. Cependant, le sujet reste tabou, privant la société d’une réelle richesse évolutive et sociale.
Micheline Misrahi Abadou est professeur de biochimie et de biologie moléculaire à l’Université Paris Saclay, auteur avec Boris Cyrulnik du livre Nouvelles fécondités, nouvelles familles, nouvelle humanité (Odile Jacob) ; Brigitte Gresy est ancienne présidente du HCEfh et inspectrice générale honoraire des Affaires sociales ; Nathalie Pilhes est présidente de la Plateforme d’Action Genre et Gouvernance 2 GAP.
La ménopause est un sujet resté tabou car considéré comme une fin de vie sociale, voire une pathologie. Cela conduit à une stigmatisation des personnes concernées, la fécondité étant considérée comme un élément prépondérant de la valeur ajoutée de la femme dans la plupart des sociétés. Or, selon l’OMS, 1,2 milliard de femmes seront âgées de 50 ans et plus en 2030 et pourront espérer vivre plusieurs décennies après la ménopause. Doit-on vraiment le considérer comme un effet indésirable du vieillissement, qu’il convient de passer sous silence ?
Les chiffres sont là : en France, 87 % des femmes présentent au moins un symptôme de la ménopause et 20 à 25 % souffrent de troubles sévères affectant leur qualité de vie, indique l’Inserm. Or, seulement 6 % des 14 millions de Françaises ménopausées sont soignées. En Grande-Bretagne, une enquête réalisée en 2021 a montré que, face à des symptômes de ménopause ou de préménopause, une femme sur cinq avait raté une opportunité d’avancement professionnel ; la ménopause aurait même poussé 12 % des 3 800 femmes interrogées à démissionner. Cela montre l’importance de sortir du déni. Et pour cela, il faut comprendre d’où vient cette limitation de la vie reproductive des femmes.
Un trait sélectionné au cours de l’évolution
Cela peut paraître à première vue contraire aux principes de l’évolution, car défavorable à la reproduction des gènes et à la survie de l’espèce. La ménopause ne devrait donc pas exister… à moins qu’elle n’ait été spécifiquement sélectionnée au cours de l’évolution. La ménopause semble être une caractéristique très rare : pour l’instant, sur plus de 6 000 espèces de mammifères recensées, ce trait n’a également été observé que chez cinq mammifères marins. On l’observe également chez les chimpanzés vivant dans des conditions écologiques exceptionnellement favorables.
Plusieurs explications peuvent être données à la sélection inattendue de ce trait évolutif : la ménopause semble être apparue il y a plus de 100 000 ans, au moment de l’augmentation du volume du crâne et du volume du cerveau, qui entraînait des complications obstétricales. plus fréquent. Limiter la reproduction des femmes permet de limiter les risques d’accouchements répétés susceptibles de mettre en péril leur survie, avec le risque de ne pas pouvoir élever le dernier enfant né. De plus, des dépenses énergétiques importantes sont mobilisées lors des grossesses et de l’allaitement, rien de comparable aux dépenses énergétiques de la production de spermatozoïdes, c’est pourquoi il n’y a pas d’andropause chez l’homme.
Grâce aux soins apportés aux enfants et petits-enfants, dans quelques générations une femme ménopausée aura assuré la propagation de ses gènes à plus de descendance que si elle avait continué à accoucher.
Deuxième hypothèse, celle de la grand-mère : c’est la théorie du « gène égoïste » de Richard Dawkins, dans laquelle un individu est programmé pour transmettre ses gènes au maximum de descendance possible. Cependant, grâce aux soins apportés aux enfants et petits-enfants, dans quelques générations une femme ménopausée aura assuré la propagation de ses gènes à plus de descendants que si elle avait continué à accoucher. Ainsi, « aider ses proches » serait l’un des mécanismes menant à la ménopause.
De plus, la ménopause a un impact socio-économique majeur. Selon les travaux menés par l’anthropologue Hillard Kaplan, l’investissement post-reproductif dans les enfants et petits-enfants permet le transfert de connaissances à la descendance. La ménopause a également permis une réorientation de l’activité des femmes âgées vers l’acquisition de ressources nécessaires à la survie du groupe, comme la nourriture ou la recherche de plantes médicinales. Dans les sociétés contemporaines de chasseurs-cueilleurs, les femmes âgées auraient une plus grande productivité économique. Elles ne sont pas les seules : les « globicéphales » ménopausées font également preuve de leadership en dirigeant le groupe vers des zones d’alimentation, un comportement essentiel à la survie du groupe.
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Sensibiliser tous les publics
Ainsi, loin d’être une injustice ou un défaut de la nature, la ménopause peut être vécue comme une formidable opportunité sociale. Encore faut-il mettre en place des politiques publiques adaptées pour amortir son impact médical, social et économique. Les actions de sensibilisation et de formation sont essentielles en direction de tous types de publics : en direction des plus jeunes dans les collèges et lycées, où l’enseignement obligatoire sur la vie affective, relationnelle et sexuelle ignore la ménopause, renforçant ainsi le tabou. Envers les femmes elles-mêmes et le grand public, pour bénéficier d’un accompagnement adapté et changer la perception de cette période de la vie. Vers les soignants car, dans les études médicales, cet aspect est peu développé, tout comme l’information sur le traitement hormonal substitutif, basé en France sur des hormones naturelles sans risque de cancer du sein. Vers le monde de la recherche, car l’absence de traitement entraîne une morbidité importante chez les femmes et il est essentiel de développer une recherche active et d’identifier les biomarqueurs de la ménopause, enjeu majeur de santé publique permettant aux femmes de planifier leur vie reproductive. Vers les employeurs enfin, afin qu’ils prennent en compte cette période particulière de la vie des femmes, et proposent si nécessaire un aménagement temporaire du temps et des conditions de travail (télétravail, possibilités de s’isoler ou de se reposer, etc.). ).
Prendre conscience que la ménopause a été un atout pour l’humanité permettrait de briser le tabou qui l’entoure, et donnerait peut-être aux femmes le loisir de vivre leur vie post-productive comme une véritable opportunité sociale et professionnelle.