La Marine nationale doit-elle se doter d’une flotte de drones navals de surface ?
Avec un domaine maritime de 11 millions de km² et des engagements à tenir au sein de l’OTAN, la Marine nationale dispose-t-elle de suffisamment de navires dits « de premier ordre » pour remplir son contrat opérationnel ? Par ailleurs, dans un contexte marqué par le retour de la haute intensité, ses bâtiments sont-ils suffisamment armés ?
Plusieurs rapports parlementaires ont répondu à cette question, comme celui publié par le député Yannick Chenevard en octobre 2022. Le format de la Marine nationale « n’est clairement pas adapté à la menace actuelle et encore moins future. (…) Le retour au format d’avant le livre blanc de 2013 – dix-huit frégates de premier ordre – apparaît comme le strict minimum », a-t-il estimé.
Cependant, la loi de programmation militaire (LPM) 2024-30 a maintenu ce format à quinze navires de premier ordre, la Marine nationale devant donc parvenir à honorer ses contrats opérationnels, en recourant par exemple à la notion de « double équipage » pour ses frégates multimissions. Et cela va à l’encontre du réarmement naval observé depuis plusieurs années maintenant.
L’exemple de la Chine est édifiant : en 2023, elle a admis en service quinze navires de premier ordre, l’équivalent de ce que peut déployer la marine française. Dans le même temps, seuls deux nouveaux destroyers de type Arleigh Burke sont livrés à l’US Navy.
Cette différence s’explique par des difficultés industrielles, des chantiers navals américains sous-dimensionnés, avec en prime des soucis d’approvisionnement et un manque de main d’œuvre qualifiée, ainsi que par des coûts d’acquisition toujours plus élevés, comme le théorise Norman Augustine, ancien secrétaire d’État adjoint américain à la Défense. qui travaillait pour Lockheed-Martin.
Ainsi, la loi à laquelle elle a donné son nom soutient que l’augmentation exponentielle des coûts de développement et d’acquisition de systèmes d’armes toujours plus sophistiqués entraîne automatiquement une réduction de la taille des armées.
Pourtant, dans une tribune publiée par la revue Conflits, le capitaine de frégate François-Olivier Corman, co-auteur de « Vaincre en mer au XXIe siècle », explique que « la loi d’Augustin » n’est pas forcément valable en toutes circonstances. latitudes car il « oublie » que le « coût de production des équipements militaires varie selon les régions du monde », celui-ci étant « lié au prix de la main d’œuvre, aux effets d’échelle, voire à l’espionnage industriel ». Ce qui signifie qu’une frégate chinoise Type 054 coûte deux fois moins cher qu’un « équivalent occidental ».
Pour gagner de la « masse », la solution pourrait passer par le développement d’une flotte de drones de surface, peu coûteux à produire mais capables d’infliger d’énormes dégâts à l’adversaire, comme l’ont montré ceux mis en œuvre. par la Direction générale du renseignement militaire ukrainien (GUR) contre la flotte russe de la mer Noire.
Même si le principe de cette technologie n’est pas nouveau – le physicien Nikola Tesla avait expérimenté le Téléautomate, une maquette de bateau alimentée par une batterie et contrôlée par radio – le commandant Corman y voit une « véritable mutation » depuis « le coût des drones » et « les moyens de les contrôler » rendent « possible leur achat et leur pilotage en très grand nombre ». Ainsi, avance-t-il, « la quantité peut alors redevenir un mode d’action à part entière, par exemple sous forme d’essaims ».
Les États-Unis ont déjà pris ce virage. En 2012, l’agence du Pentagone dédiée à l’innovation, la DARPA, a lancé le projet ACTUV (Anti-Submarine Warfare (ASW) Continu Trail Unmanned Vessel), qui a donné naissance au Sea Hunter, un trimaran autonome de 140 tonnes, équipé de capteurs, de radars. , sonars et caméras. Puis, en 2019, l’US Navy a mis sur les rails le programme « Ghost Fleet Overlord », avec pour objectif d’accélérer l’intégration de navires – de surface ou sous-marins – sans équipage. La Task Force 59 est alors créée au sein de la 5e Flotte, au Moyen-Orient, pour mener des expérimentations et élaborer des doctrines d’emploi.
Actuellement, l’US Navy dispose d’une grande unité dédiée à ce type de capacités, à savoir la Unmanned Surface Vessel Division (USVD-1 – Unmanned Surface Vessel Division 1). Un deuxième devrait être créé prochainement. Elle finance par ailleurs une étude conceptuelle sur un drone de surface d’un déplacement de 2 000 tonnes, dans le cadre du programme « Large Unmanned Surface Vehicle » (LUSV). Un premier exemplaire – le « Vanguard » – devrait lui être remis en 2025.
Enfin, en janvier, le Pentagone a demandé à l’industrie de se procurer des milliers de petits drones de surface, l’idée étant de pouvoir les faire fonctionner en essaim. Sans oublier les projets de drones sous-marins qui sont également en cours, comme l’imposant Manta Ray et l’Orca XLUUV.
Raie manta #UUV prototype complet à grande échelle, tests dans l’eau au large de SoCal. Le programme DARPA présente une capacité modulaire unique en son genre pour un véhicule sous-marin extra-large sans équipage. Construit par @northropgrumman. https://t.co/BIDfh3cZCD pic.twitter.com/t6dqWB3i33
-DARPA (@DARPA) 1 mai 2024
Par ailleurs, le développement de systèmes de surface sans pilote fait également partie des priorités de l’OTAN, qui a lancé une initiative en ce sens en 2019, avec la participation de treize États membres, dont la France.
Mais pour la Marine nationale, la robotisation des opérations navales ne concerne, pour l’instant, que la guerre des mines, avec le programme SLAM-F. Un projet de démonstrateur de drone de combat sous-marin a également été lancé par la Direction générale de l’armement (DGA) en 2023… Reste à savoir quand il verra le jour. Mais la LPM 2024-30 ne dit rien sur une éventuelle flotte de navires sans pilote. « Une accélération de l’usage des vecteurs téléopérés et un élargissement du spectre de leurs missions seront entrepris », indique-t-elle seulement.
Cependant, outre les États-Unis, d’autres pays se sont engagés dans cette voie. C’est le cas du Royaume-Uni, via l’initiative Navy X, celui d’Israël, avec le bateau télécommandé Seagull, ou encore celui de la Turquie, qui développe la gamme de drones de surface ULAQ.
Les batailles de Trafalgar et Midway ont montré que « la taille d’une flotte n’est pas le seul critère » pour gagner une décision, a observé le commandant Corman. « Mais la guerre navale est une bataille d’usure : la capacité à construire des plates-formes rapidement et en nombre (…) s’avère toujours décisive », souligne-t-il. Aussi, « le moment est peut-être venu de rappeler qu’en mer, seule la quantité fait la qualité », a-t-il conclu.
Photo : Groupe Naval