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la majorité silencieuse n’a pas d’importance

Beaucoup de ceux qui sont consternés par les événements sur le campus de Science-Po se rassurent en pensant que les militants ne sont qu’une minorité, qu’ils ne sont pas représentatifs des étudiants et que leur action peut donc être négligée. C’est une erreur profonde. Le changement social est toujours l’œuvre d’une minorité déterminée. Nous ignorons cette réalité à nos dépens.

Le 16 juin 2014, faisant écho à une enquête parlementaire, une table ronde s’est tenue pour tirer les leçons de l’attaque deux ans plus tôt de l’ambassade américaine à Benghazi (Libye) par des jihadistes au cours de laquelle l’ambassadeur américain avait été tué. L’affaire a eu un fort retentissement aux Etats-Unis. Lors de la table ronde, une question est posée par une jeune femme qui souligne qu’elle est musulmane et demande de ne pas stigmatiser les musulmans, dont la majorité, selon elle, sont très largement pacifiques.

Source : Wikipédia

La majorité pacifique n’a pas d’importance

La réponse très vive de l’une des membres du panel, Brigitte Gabriel, journaliste libano-américaine, est assez intéressante. Après avoir remercié la jeune femme pour sa question, voici ce qu’elle dit, en intégralité. « Il y a environ 1,2 milliard de musulmans dans le monde. Bien sûr, la majorité d’entre eux sont des gens pacifiques ! Parmi eux, il y a au maximum 15 à 25 % de radicaux. Mais cela représente entre 180 et 300 millions de personnes vouées à la destruction de la civilisation occidentale. Pourquoi devrions-nous nous soucier des radicaux ? Parce que ce sont les radicaux qui tuent. Si l’on regarde l’histoire, la plupart des Allemands étaient pacifiques, mais les nazis ont dicté l’ordre du jour, et le résultat a été que des millions de personnes sont mortes. La majorité pacifique n’avait pas d’importance. Quand on regarde la Russie, la plupart des Russes étaient également pacifiques. Pourtant, les Russes ont réussi à tuer vingt millions de personnes. La majorité pacifique n’avait pas d’importance. Quand on regarde la Chine, la plupart des Chinois étaient eux aussi pacifiques. Pourtant, les Chinois ont réussi à tuer 70 millions de personnes. La majorité pacifique n’avait pas d’importance. Quand on regarde le Japon avant la Seconde Guerre mondiale, la plupart des Japonais étaient eux aussi pacifiques. Pourtant, le Japon a pu massacrer douze millions de personnes en Chine et en Asie du Sud-Est, la plupart à coups de pelles et de baïonnettes. La majorité pacifique n’avait pas d’importance. Le 11 septembre 2001, 2,3 millions d’Arabes musulmans vivaient aux États-Unis. Il n’a fallu que 19 radicaux pour mettre l’Amérique à genoux, détruire le World Trade Center, endommager le Pentagone et tuer près de 3 000 Américains ce jour-là. La majorité pacifique n’avait pas d’importance. »

Gabriel ne fait pas vraiment de nuances, et ses chiffres sont parfois inexacts, mais le message est clair : il ne faut pas Jamais sous-estimer l’impact que peut avoir une minorité décidée. C’est elle, et elle seule, qui compte. La majorité reste largement passive. Tous les autocrates le comprennent.

Même s’il s’agit d’une minorité, la minorité décidée aura un impact significatif. La conséquence est que cet impact pourrait ne pas refléter du tout ce que souhaitait la majorité. La grande majorité des Allemands, comme les Français, ont été traumatisés par la Première Guerre mondiale et ne souhaitent pas une seconde. Cela n’a rien arrêté. D’où la question, importante d’un point de vue démocratique : que peut faire une majorité pacifique pour obtenir ce qu’elle veut, ou refuser ce qu’elle ne veut pas ? Le risque est évidemment que, quoi qu’elle veuille, si elle ne répond pas à cette question, une autre volonté lui sera imposée par une minorité active.

L’une des raisons de la passivité de la majorité est une conception morale du changement social. L’influence d’une minorité peut être considérée comme injuste : « Mais ils ne représentent qu’une minorité ! » Sous-entendu : « Ils ne devraient pas compter. » Le modèle mental selon lequel seule la majorité devrait compter est un déni de la réalité. En raisonnant ainsi, on se base sur ce qui devrait être, et non sur ce qui est. Le danger est que ce qui est considéré comme injuste est souvent aussi considéré comme improbable. Le « C’est injuste » traduit un autre modèle mental qui est : « Puisque c’est injuste, ça n’arrivera pas ». » On en conclut donc que les étudiants de Sciences Po étant minoritaires et que « la grande majorité des étudiants veulent juste étudier », les choses vont se calmer, mais ce raisonnement ne tient pas à la lumière de l’Histoire. C’est parce qu’ils sont minoritaires et déterminés qu’ils peuvent avoir une réelle influence, tandis que la majorité restera silencieuse, donc passive, comme les Allemands dans les années 1930.

Le contexte de la réponse de Brigitte Gabriel, celui du terrorisme, lui fait évoquer uniquement les aspects négatifs de ce fait social, mais l’impact d’une minorité peut heureusement aussi être positif. Ce fut le cas, entre autres exemples, de la légalisation de l’avortement ou de l’abolition de la peine de mort en France, idées qui n’étaient pourtant pas majoritaires. Cela peut aussi être positif dans une organisation lorsqu’un petit groupe d’innovateurs déterminés et motivés réussit à proposer de nouvelles idées pour la transformer, même si celles-ci sont minoritaires, voire hérétiques, au départ. Mais au moins dans ces situations, les minorités n’utilisent pas la violence.

La question démocratique

La leçon à retenir ici est sans doute que lorsqu’on examine un phénomène social, il faut se garder de la naïveté. Nous devons regarder ce qui est, et non ce qui devrait être, du point de vue de notre morale. Ici comme ailleurs, la pensée magique mène au désastre. Si le changement est l’œuvre de minorités actives, la vraie question est de savoir comment concilier l’action de ces minorités avec la démocratie.

➕Sur le même sujet vous pouvez lire mon article précédent : 📃L’ombre de la Gnose : Avons-nous besoin d’une élite pour transformer le monde ?, 📃Sortez de l’ordinaire : puisez notre énergie dans le quotidien et non dans l’idéalisme.

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