C’est une demi-victoire. Mais elle marque une étape supplémentaire vers le blocage des sites pornographiques qui ne respectent pas la loi sur l’accès aux mineurs. Jeudi 17 octobre, la cour d’appel de Paris a rendu une décision très attendue par les associations La Voix de l’enfant et e-Enfance qui avaient assigné en justice des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) pour ne pas avoir bloqué neuf sites pornographiques. Les deux associations ont été initialement déboutées – au motif qu’elles auraient dû s’adresser directement aux éditeurs du site – mais la Cour de cassation a annulé la décision.
L’affaire a donc été rejugée en juin par la cour d’appel de Paris qui, cette fois, « a estimé que les demandes de blocage d’associations dirigées, en première instance, contre les seuls fournisseurs d’accès sans mise en accusation préalable des hébergeurs ou des éditeurs ni démonstration de l’impossibilité d’agir à leur encontre étaient recevables ».
Elle alors « a ordonné le blocus complet » de quatre des neuf sites ciblés (XHamster, Tukif, Mrsexe et Iciporno), dans un délai de quinze jours et « jusqu’à ce que soit démontrée la mise en œuvre par ces derniers d’un contrôle autre que purement déclaratif de la majorité des utilisateurs ».
Une décision historique
Justine Atlan, Le directeur général d’e-Enfance, à l’origine de la procédure, » se félicite de cette décision historique au terme de quatre années de procédure visant à établir l’illégalité des sites pornographiques ne respectant pas la loi, explique-t-elle. Ce n’est pas aussi fort qu’on l’aurait souhaité, mais cela marque un progrès. Et nous espérons que ce sera une étape importante dans la protection des mineurs sur Internet.»
L’avocat des deux associations, Frédéric Benoist, est plus mesuré. « Je suis satisfait de ce blocage, mais j’aurais aimé que tous les sites soient concernés, précise-t-il. Les plus grands d’entre eux, dont Youporn et Pornhub, y échappent encore. La justice s’est, une fois de plus, montrée prudente face au lobby de la pornographie. »
La cour d’appel de Paris a en effet décidé de suspendre la procédure pour trois éditeurs de sites établis à Chypre et en République tchèque. Ce dernier a souligné le « principe dit du « pays d’origine » » et avoir « prétend qu’ils ont été établis dans les pays membres de l’Union (Européen) ne prévoyant pas un système comparable à celui instauré par le droit pénal français.
Ils soutiennent « que le blocage demandé constituerait une mesure restrictive interdite par le principe de libre circulation des services d’information » et a demandé au tribunal de suspendre la décision « dans l’attente de la réponse de la Cour de Justice de l’Union européenne aux questions préjudicielles posées par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 6 mars 2024 ».
Manœuvres pour échapper à la loi
Pour l’avocat, il s’agit avant tout de « manœuvres des éditeurs pour échapper à la loi. Il faudra encore attendre des mois, des années pour avoir la décision, il s’énerve. Et pendant ce temps, les enfants de 10 ans seront encore exposés à des images pornographiques.»
Les nouveaux pouvoirs de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel et de la communication numérique (Arcom), qui peut ordonner le blocage de sites sans passer par un juge et qui vient de publier un cadre pour encadrer la « fiabilité du contrôle de l’âge des utilisateurs » ne sont pas de nature à rassurer Frédéric Benoist.
« Les sites vont mettre en place un système bidon et puis il y aura des actions, des recours, dit-il. Tant qu’il n’y aura pas une réelle volonté des pouvoirs publics de sanctionner ces plateformes, on continuera à créer une « génération Youporn ». » Selon l’Arcom, 2,3 millions de mineurs visitent les sites pornographiques en France. À 12 ans, plus de la moitié des garçons qui utilisent Internet visitent ces sites en moyenne chaque mois.