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« La joie des Jeux paralympiques ne se résume pas seulement à battre des records »

« La joie des Jeux paralympiques ne se résume pas seulement à battre des records »

La Croix :Tableaux de médailles, chasse aux records : la performance est-elle le seul objectif d’un athlète olympique ?

Isabelle Quéval : Dans le sport de haut niveau tel qu’il est conçu aujourd’hui, notamment aux Jeux Olympiques (JO), seules les performances et les résultats comptent. Un athlète concourt avant tout pour une amélioration statistique numérique. Bien sûr, ce que chacun met dans la notion de performance est très différent d’un athlète à l’autre, d’un sport à l’autre, et même d’un pays à l’autre. C’est aussi pour cela qu’une histoire se construit autour de chaque athlète, contribuant ainsi à son succès médiatique. Bien qu’il soit possible d’être moins attaché à l’ambition de l’or qu’au plaisir d’y être, ce n’est pas pour cela qu’ils se sont entraînés.

Aussi parce qu’ils sont habitués à n’avoir pensé qu’à se dépasser, très souvent dès leur plus jeune âge…

QI: Absolument. Le sportif de haut niveau est configuré pour atteindre une performance maximale. Si l’on veut pratiquer un sport pour le plaisir, la santé ou l’entretien, on ne fait pas du sport de haut niveau. Le plaisir n’est pas absent, on voit bien que la médaille d’or est un moment d’extase personnelle et collective. Il faut aussi aimer ce que l’on fait pour s’y lancer avec une telle intensité ! Mais la férocité inhérente à ce genre de compétition, du processus de sélection aux éventuelles défaites, est masquée par l’euphorie du moment.

Avec un aspect aussi féroce, les Jeux olympiques sont-ils un exemple pour la jeune génération ?

QI: Cela dépend de l’exemple dont on parle et de ce qu’on cherche à faire dire au sport. Certaines personnes peuvent être sensibles à l’idée de se dépasser. Le sport de haut niveau est très médiatisé et s’impose comme un modèle car l’image est puissante dans notre société. Mais derrière, il y a beaucoup de dégâts, des gens qui ne s’en remettent jamais – y compris chez les plus grands champions – et même des dépressions post-médaillées.

Situé à deux pas du village olympique (Seine-Saint-Denis), un centre d’entraînement pour sportifs a été baptisé « Maison de la performance ». Que vous évoque ce nom ?

QI: Cela s’inscrit dans une logique de technicisation de la performance sportive. A l’origine Institut national du sport et de l’éducation physique, l’Insep est devenu récemment Institut national du sport, de l’expertise et de la performance. On y trouve des laboratoires de production de performance de pointe, développant – à la manière d’un laboratoire aéronautique – des moyens toujours plus techniques pour améliorer la performance. C’est l’essence même du haut niveau, mais sa place s’est accentuée depuis la fin du XXe siècle, notamment par l’intégration croissante de grands enjeux financiers.

Dans le contexte d’une compétition mondialisée comme celle-ci, le positionnement des pays les uns par rapport aux autres valide – sans doute à tort – ce modèle de fonctionnement établissant la primauté du résultat. La performance est devenue extrêmement sophistiquée et l’athlète est focalisé sur une infinité de paramètres.

L’accomplissement de soi a-t-il disparu au profit du dépassement permanent ?

QI: Les deux sont parfois compatibles, et il peut y avoir à la fois dépassement et accomplissement. Mais il y a surtout un dépassement excessif qui fait perdre de vue l’accomplissement du sujet, comme on le voit dans les « usines à champions ». Cette disjonction conduit à une course effrénée à la performance et peut avoir des effets délétères sur les individus recrutés et poussés à des intensités déraisonnables.

Comment définiriez-vous un champion aujourd’hui ?

QI: Dans son travail Systèmes sportifs (Gallimard, 1998), le sociologue Paul Yonnet reprend la citation de Jacques Anquetil définissant le champion dans sa capacité à souffrir. Le champion est avant tout le plus doué parmi les plus doués. C’est une personne qui va être poussée à l’extrême, au bout de ses capacités avec l’aide de la science et qui – grâce à la chance aussi, à une trajectoire familiale, à une bonne santé – peut réaliser ou espérer réaliser une performance majeure.

Les athlètes sont-ils entraînés à échouer ?

QI: Non. Dans le sport de haut niveau, « seule la victoire est belle » ; la position de numéro deux n’existe pas. Certains parviennent à se reconstruire après une défaite, d’autres vivent une tragédie définitive. Au final, seuls ceux qui gagnent sont mis en lumière. C’est malheureusement la loi de la sélectivité maximale dans le sport de haut niveau. Pour éviter les dérives du sport de haut niveau et les dérives à tous les niveaux, il faudrait repenser la compétition de manière moins violente, notamment dans le rapport dominant-dominé. C’est vrai que c’est difficile à imaginer ! Je prône depuis longtemps une autre configuration avec beaucoup plus de diversité, non seulement masculine et féminine mais aussi générationnelle.

À cet égard, les Jeux Paralympiques peuvent-ils inspirer les Jeux Olympiques ?

QI: Exactement. Nous avons deux formes de performance en miroir ; les Jeux paralympiques ont démontré qu’une autre forme de performance était possible. Ces Jeux offrent un contre-discours à l’idée que la performance est l’essence du sport de haut niveau. Évidemment, ce sont des sportifs de haut niveau, mais les aménagements des compétitions – le fait que les équipes soient constituées d’un équilibre numérique du type de handicap, que les relais soient constitués de la même manière, que nous ayons des équipes de rugby en fauteuil dans lesquelles il y a aussi des femmes, etc. – peuvent inspirer les Jeux olympiques. Du côté du public, il me semble qu’il y a une joie qui émane de ces Jeux paralympiques, des relations humaines entre les sportifs et avec le public, fondées sur autre chose que le record.

Justement, le public serait-il prêt à arrêter de rechercher l’exploit ?

QI: La réalité demeure : à la question « accepterais-tu de regarder le Tour de France couru 10 km/h plus lentement et sans dopage ?le public répond majoritairement par la négative car il veut une performance maximale. Ceci dit, attendons de voir l’impact des Jeux Paralympiques sur les consciences. Pour moi, quelque chose s’ouvre grâce à ce très bel exemple de performances accomplies dans un autre état d’esprit, avec d’autres règles, d’autres « calculs », pour une image qui ne correspond pas aux standards d’un Usain Bolt.

(1) Institut National Supérieur de Formation et de Recherche pour l’Education Inclusive.

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