« La Joconde » quittera-t-elle un jour la France et le Louvre ?
Si lever les yeux vers le ciel était une discipline olympique, les conservateurs du patrimoine français auraient eu de fortes chances de décrocher une médaille ce jeudi alors que le Conseil d’État étudiait une demande de restitution d’objets d’art. La Joconde. Une obscure association – International Restitutions – a demandé officiellement que le chef-d’œuvre de Léonard de Vinci soit « retiré » de l’inventaire du musée du Louvre.
La Joconde est au Louvre depuis 1797 (qu’elle n’a quitté que dans de rares occasions, comme sa fuite en 1911) et dans les collections françaises depuis 1516… Pourra-t-elle un jour quitter la France ? Il y a peu de chances…
Cette demande peut-elle aboutir ?
Non. L’association qui a déposé la demande auprès du plus haut tribunal administratif français n’en est pas à son coup d’essai. Et à chaque fois, le Conseil d’État a rejeté les demandes. Dans sa précédente décision, qui faisait jurisprudence, le Conseil d’Etat avait déclaré que l’association n’avait pas « qualité pour agir ». « Seules les personnes qui s’estiment propriétaires légitimes » de l’œuvre étaient légitimes pour introduire une demande. Cependant, à partir de 1516, La Joconde était la propriété du roi François Ier, à qui Léonard de Vinci offrit le tableau en échange de sa protection. Le portrait de Mona Lisa entre dans les collections royales puis dans les collections publiques.
La France a déjà restitué des œuvres, pourquoi pas « La Joconde » ?
Depuis plusieurs années, la France a dérogé au principe d’inaliénabilité de certaines œuvres de ses collections publiques dans le cadre de lois spéciales, puis de lois-cadres. Ces lois – deux déjà votées et une en projet – concernent trois types d’œuvres consignées. Il y a d’abord les œuvres d’art pillées aux familles juives pendant l’Occupation. Ces œuvres ont été identifiées et les musées français qui les conservent n’en sont plus propriétaires. Lorsque, après enquête, les ayants droit de ces œuvres seront retrouvés, celles-ci pourront être restituées. La deuxième catégorie concerne les restes humains. La loi du 26 décembre 2023 a ainsi permis la restitution, à des fins funéraires, de vingt têtes maories (peuple des îles de l’océan Pacifique) à la Nouvelle-Zélande, et de 24 crânes à l’Algérie.
La troisième catégorie pourrait concerner les œuvres acquises illicitement par l’État français. Ce projet de loi vise notamment les œuvres volées lors de la colonisation française en Afrique et en Asie.
À tout prix La Joconde ne peut entrer dans aucune de ces trois catégories.
L’Italie pourrait-elle revendiquer « La Joconde » ?
Les demandes de restitution concernant le patrimoine africain, encouragées par Emmanuel Macron lors d’un discours en 2017 à Ouagadougou, préoccupent les États. Un pays comme l’Italie pourrait ainsi, en théorie, en faire la demande. Mais à ce jour, il n’est pas question d’examiner des demandes d’acquisition aussi anciennes. Les œuvres acquises après la convention de l’UNESCO de 1970 sur « le vol, le pillage et le trafic illicite de biens culturels » pourraient être étudiées à l’avenir. » Encore ici, La Joconde, arrivé en France au XVIe siècle, n’est pas concerné. Par ailleurs, François Ier, qui offrait gîte, couvert, protection et pension à un Léonard de Vinci tombé en disgrâce auprès des Médicis, n’apprécierait sans doute pas que sa Joconde soit considérée comme le résultat d’un « pillage ».
« La Joconde » fait-elle partie de la France pour toujours ?
Plutôt oui. Le droit du patrimoine est très strict et le principe d’inaliénabilité très fort. L’État français ne peut vendre ou donner des œuvres d’art de ses collections publiques. Reste la possibilité d’un prêt long vers un pays tiers. La solution a été formulée pour des œuvres d’art africaines très symboliques et pour contourner le droit du patrimoine. Cependant, concernant La Joconde, les experts sont unanimes sur le fait que l’œuvre est bien trop fragile et précieuse pour voyager. Au-delà de la perte de revenus que représenterait son départ pour le musée du Louvre, il serait très difficile de trouver l’argent pour payer l’assurance que nécessiterait un tel voyage (sans parler de trouver l’assurance prête à s’engager).
Bref. À moins qu’il ne soit volé, La Joconde devrait rester au Louvre encore un bon moment.