la guerre des mots déchire l’Assemblée
« Dialogue de sourds ». L’expression a été lâchée par un député exaspéré, et jusqu’ici peu présent dans le débat, le Modem Bruno Millienne. Plus tard dans la soirée du lundi 3 juin, alors que ledit dialogue se poursuivait dans un hémicycle de plus en plus déchiré, sa collègue Cécile Rilhac (Renaissance) a même osé faire un parallèle avec l’exigence de mort, au cœur du débat : « J’espère que nous abrégerons notre souffrance d’entendre toujours la même chose sur ces bancs… » Ce » même chose « c’était le refus tenace de l’expression « aide à mourir » par des députés opposés au projet de loi.
Ces trois mots ont été choisis par le gouvernement pour former le titre de la deuxième partie du texte dont l’examen a débuté ce lundi après une semaine consacrée au développement des soins palliatifs. Mais presque tous les députés de droite et d’extrême droite considèrent cette expression comme une hypocrisie, voire une « travestissement lexical ». Par de nombreux amendements, ils ont tenté de substituer les termes « suicide assisté à l’exception de l’euthanasie ». Ou, à défaut, l’expression la moins vague de « aide active à mourir ». Leurs amendements ont tous été rejetés.
Devoir de clarté
« Curieusement, les mots vous font plus peur que les réalités : vous tolérez les réalités, mais vous ne voulez pas des mots qui décrivent ces réalités », a dénoncé Marc Le Fur (LR). « Aidez à mourir, désolé, mais ça ne veut rien dire : tous les soignants aident à mourir ! Ils aident à mourir sans causer la mort. »a de son côté insisté son collègue Philippe Juvin (LR), lui-même anesthésiste-réanimateur. « Vous pouvez être pour ou contre, mais dites les mots ! » »
Rappelant le souhait du Président Macron que ce débat parlementaire permette de « Regarde la mort en face »le député et vice-président du Rassemblement national (RN) Sébastien Chenu a estimé que cela nécessiterait « utiliser le bon vocabulaire ». « Nous avons un devoir de clarté en démocratie, c’est d’utiliser les mots justes »a de son côté soutenu le socialiste Dominique Potier, l’un des rares opposants à ce texte dans les rangs de la gauche.
« Les Français ne se soucient pas de votre sémantique ! »
Face à ces récriminations, le rapporteur général Olivier Falorni s’est moqué « une forme d’obstination déraisonnable », parmi ces députés, de vouloir voir les termes « suicide assisté » et « euthanasie » inclus dans la loi. Avec « l’aide médicale à mourir », le gouvernement a néanmoins trouvé, selon lui, « des mots qui ne font pas mal ». Le terme euthanasie a été « égaré » par le Troisième Reich, estime-t-il, jugeant son emploi difficile aujourd’hui.
« L’aide à mourir est un terme simple, qui est humain, qui met en valeur la dimension fraternelle de cette loi », a ajouté la rapporteure Laurence Maillart-Méhaignerie. Ce plaidoyer n’a cependant pas convaincu l’ensemble du camp présidentiel. » De quoi as-tu peur ? » a été surprise par la députée de la Renaissance Astrid Panosyan-Bouvet, ne voyant pas « rien de honteux » pour défendre spécifiquement le suicide assisté et l’euthanasie, privilégiés par une majorité de Français.
Considéré comme crucial par certains (« Nous n’abandonnerons pas ce dossier »a déclaré la députée LR Annie Genevard), cette querelle lexicale a été vilipendée par d’autres : « Les Français s’en foutent de votre sémantique ! » Ils veulent simplement savoir s’ils auront le droit de faire ce geste, et dans quelles conditions »s’est agacé Bruno Millienne (Modem).
Le latin et le grec à la rescousse
Bien qu’infructueuse, cette discussion de plusieurs heures a en tout cas donné lieu à plusieurs rappels étymologiques. « Quand on apprend le grec, on sait que l’euthanasie signifiait initialement une bonne mort, une mort douce, qu’elle soit provoquée ou naturelle », a expliqué Cécile Rilhac (Renaissance). Elle a précisé que sa signification actuelle (causer la mort) n’est venue que plus tard.
Prenant part au jeu, le député RN Christophe Bentz a à son tour pris à partie l’hémicycle : « L’origine latine du mot « aider », que signifie-t-il ? Aide! » Une manière pour lui de souligner que les mots « aider » et « mourir » sont opposés, et que l’expression chère au gouvernement est donc « un oxymore ». « L’administration d’une substance mortelle est-elle une aide ? Est-ce une aide ? Évidemment pas! »
Le latin a également été convoqué par sa collègue Laure Lavalette (RN). « Dignus est ce qui a de la valeur »dit-elle. « Nous croyons que la dignité est consubstantielle à l’humanité : c’est vivre qui rend digne. (…) Pour l’ADMD (Association pour le droit de mourir dignement, NDLR.), au contraire, chacun peut juger de sa propre dignité. C’est une notion subjective. »
L’écologiste Sophie Taillé-Polian a confirmé cette divergence de points de vue, estimant qu’il s’agit « chacun pour soi » juger de la dignité de sa vie. Ces deux conceptions, difficilement conciliables, devraient continuer de s’affronter dans l’hémicycle jusqu’à la fin des débats, vendredi 7 juin.