La guerre de l’ombre de l’Ukraine s’étend à la lutte stratégique dans l’Arctique, et la Russie pourrait gagner
Aux confins du nord du globe, la glace fond, se fissure, se brise et signale un danger imminent, mais les yeux du monde restent fixés sur l’Ukraine. Pourtant, c’est sur cette immensité blanche, d’environ 21 millions de km2, que pourrait se jouer l’une des plus grandes guerres de notre époque : celle de la « Route de la Soie » polaire, que courtisent les pays voisins, et celle des hydrocarbures enfouis sous la glace.
Ni État ni continent, l’Arctique couvre le sommet du monde, et regroupe huit États dont les terres bordent ses mers glaciales, comme nous le rappelions récemment : la Norvège, la Russie, le Canada, les États-Unis avec l’Alaska, le Danemark (notamment avec le Groenland qui est entièrement inclus dans l’Arctique), l’Islande, la Suède et la Finlande. Créé en 1996, le Conseil de l’Arctique est chargé de donner les grandes orientations à la région. Il vise à « promouvoir le développement durable de l’Arctique sur les plans social, économique et environnemental ».
Mais la Russie, qui possède près de la moitié du territoire polaire et 24 000 kilomètres de côtes, pourrait bien se voir faire cavalier seul sur la glace : en février 2024, dans un contexte de fortes tensions avec l’Occident liées à la guerre en Ukraine, le président de Vladimir Poutine Le pays a gelé les contributions financières russes au Conseil de l’Arctique.
Les objectifs de la Russie et de la Chine sur un territoire disputé
Moscou a lancé un vaste plan de remilitarisation de la région en 2014, et plusieurs bases de l’ère soviétique sont en cours de modernisation au nord du cercle polaire arctique, plus de 30 ans après la fin de la guerre froide, rappelons-nous. avril. Le Kremlin entend régner en maître sur l’étendue glacée. Pour cause : la zone pourrait contenir environ 160 milliards de barils de pétrole non découverts et 30 % des réserves mondiales de gaz naturel, selon les estimations de l’US Geological Survey, retranscrites en 2022 par la BBC.
De plus, le réchauffement climatique, deux fois plus rapide dans cette région qu’ailleurs sur le globe, ouvre de nouvelles routes maritimes vers les pays de la zone. Ainsi, la Russie voit d’un très bon œil la fonte des glaces qui offrirait un nouvel accès durable à l’Asie à ses pétroliers, méthaniers et autres cargos. La route maritime du nord, qui longe ses côtes, passe par la péninsule gazière de Yamal et revient vers l’Asie via le détroit de Béring, réduirait la durée et le coût du transport de marchandises entre l’Europe et l’Asie, selon Silk Road Briefing, cité par Statista. Une alternative attractive pour Moscou, alors que les sanctions occidentales affectent son pétrole et ses biens.
Alors que le#Arctique est la région du globe la plus durement touchée par le réchauffement climatique, la fonte des glaces pourrait bientôt permettre l’ouverture de #routesmaritimes polaire. Voici un aperçu des 4 principaux.
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– Statista FR (@statista_fr) 23 juin 2023
La Fédération de Russie, seul pays au monde à disposer d’une flotte de brise-glaces nucléaires, a inauguré trois nouveaux navires de ce type ces dernières années. En janvier, le patron de Rosatom, Alexeï Likhatchiov, avait indiqué que 36 millions de tonnes de marchandises avaient transité par cette voie maritime en 2023, « un record », se réjouissait-il selon l’agence Interfax.
Rosatom, la société nucléaire d’État russe qui supervise le passage et sa flotte de brise-glaces à propulsion nucléaire, souhaite que le commerce le long de la côte nord de la Russie soit multiplié par dix au cours de la prochaine décennie, a-t-il déclaré. Le Temps est en Juillet et compte sur les Chinois cargos et pétroliers.
La Chine, qui a trouvé en Russie un partenaire commercial intéressant depuis le début de la guerre en Ukraine, n’a pas de territoire dans la région arctique, mais est très intéressée par le projet d’une « Route de la soie polaire », établissant un corridor vers le nord avec La Russie, mais aussi avec l’Europe. Pékin aurait désormais son propre programme de construction de brise-glaces nucléaires. L’un d’eux se trouve à Shanghai, l’autre à Harbin. Si l’Empire du Milieu ne dispose pas de bases au nord du cercle polaire, la Russie et la Chine renforcent leurs liens militaires, et organisent ponctuellement des exercices conjoints : en juillet 2023, une patrouille de navires chinois et russes a été signalée à proximité des îles Aléoutiennes, dans le sillage de l’Alaska.
L’OTAN en alerte
Il n’est donc pas étonnant que les puissances occidentales, les États-Unis en tête, prennent cette question très au sérieux. Les Etats-Unis ont lancé en 2021 le « plan de reconquête » dans la zone, qui vise notamment à maintenir les positions américaines en Alaska. Désormais surarmée, l’Alaska a vu arriver des chasseurs F-35, jusqu’alors basés en Afghanistan, rappelait Le Monde en 2022.
Cette année, le premier cargo Yamal via la route maritime du Nord a été livré au terminal chinois du Fujian
Le méthanier brise-glace Eduard Toll Arc-7 a livré sa cargaison de l’usine GNL de Yamal en Russie au terminal du Fujian en #Chine via la Route maritime du Nord (NSR), marquant le premier… pic.twitter.com/KOJs7zLNAn
-Kpler (@Kpler) 16 juillet 2024
En pleine guerre en Ukraine, la Russie et les États-Unis se surveillent des deux côtés du détroit de Béring, par lequel Moscou fait transiter son gaz liquéfié de Yamal vers l’Asie. Les tensions sont fréquentes, pas plus tard qu’en juillet, le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (Norad) a intercepté deux bombardiers stratégiques russes TU-95 et deux H-6 chinois volant près de l’Alaska. Selon ce commandement, ce serait la première fois que Pékin et Moscou font voler ce type d’avion « dans la zone d’identification de défense aérienne de l’Alaska (ADIZ) ».
Le NORAD a détecté, suivi et intercepté deux avions militaires russes TU-95 et deux avions militaires PRC H-6 opérant dans la zone d’identification de défense aérienne de l’Alaska (ADIZ) le 24 juillet 2024. Des avions de combat du NORAD des États-Unis et du Canada ont effectué l’interception. https://t.co/EKg3G30lmW
– Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (@NORADCommand) 24 juillet 2024
Les États-Unis organisent des entraînements militaires massifs dans la région. En avril, un article du Washington Post faisait état d’une séance impliquant 400 commandos, la plus importante menée dans cette partie des Etats-Unis. En juillet, les avions français de la mission Pégase se sont engagés aux côtés de partenaires américains, allemands, espagnols et canadiens dans l’exercice de haute intensité baptisé Arctic Defender 2024 (ADA24) dans le ciel de l’Alaska.
Dans le cadre d’un exercice de l’OTAN, le Royaume-Uni a envoyé quatre chasseurs F-35B à la pointe sud-ouest de l’Islande, pour une mission de police de l’air axée sur l’Arctique, a indiqué Newsweek. L’alliance maintient une forte emprise sur la région arctique : la grande majorité des pays de la zone sont membres de l’OTAN, notamment grâce à l’adhésion de la Finlande et de la Suède. L’avancée militaire et commerciale de la Russie dans la région représente néanmoins une « menace aiguë », selon l’évaluation des États-Unis.
Article initialement publié le 22 août.