Abroger immédiatement par décret ?
Dimanche soir, le chef de file des Insoumis Jean-Luc Mélenchon a de nouveau promis qu’un gouvernement dirigé par le Nouveau Front populaire (NFP), hypothèse encore incertaine, prendrait, « dès cet été », diverses mesures « par décret », citant notamment « l’abrogation de la retraite à 64 ans ».
« En principe, il n’est pas possible d’abroger une disposition législative par décret. Seule une loi peut défaire une loi », affirme le constitutionnaliste Philippe Blachèr, professeur de droit public à l’université Lyon 3. « Dans une loi, il y a de grands principes » qui ne peuvent être contredits par décret. L’âge légal de départ à la retraite, fixé dans la loi de 2023 à 64 ans pour la génération née en 1968, « fait partie de ces principes », insiste-t-il.
Certaines dispositions de la loi « renvoyent à des mesures réglementaires, c’est-à-dire des décrets, pour mettre en oeuvre les grands principes, et là-dessus, il est possible d’agir », abroger ou réécrire ces textes, poursuit Philippe Blachèr. Les décrets déterminent de nombreux paramètres comme « les critères de pénibilité de certains emplois, un plafond minimum de retraites » ou encore diverses « données quantitatives ».
Par décret, on peut donc « détricoter partiellement » ou « neutraliser certaines dispositions », mais avec un pouvoir d’action limité. « A terme, s’il veut vraiment abroger la réforme, il faudra faire passer une loi », juge-t-il.
Passer par le Conseil constitutionnel ?
Concernant la mesure phare qui a relevé l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, un nouveau gouvernement aurait toutefois un moyen de reprendre la main, via une procédure devant le Conseil constitutionnel, assurent Benoit Daugeron et Rémi Pellet, professeurs de droit public à l’université Paris-Cité.
L’an dernier, le gouvernement avait choisi de recourir à la loi pour fixer l’âge de départ à la retraite, puisque ce paramètre faisait partie d’une loi de finances plus large comprenant de nombreuses mesures, mais « il n’était pas obligé de le faire », explique Rémi Pellet.
Le Conseil constitutionnel « a jugé de manière constante et de longue date » que si le choix d’un système par répartition comportant une condition d’âge relève de la compétence du législateur, la détermination de l’âge – 62 ou 64 ans par exemple – relève du pouvoir réglementaire, poursuit-il.
Un futur Premier ministre pourrait donc « saisir le Conseil constitutionnel pour obtenir une décision de délégalisation » de la disposition en question, « c’est-à-dire la reconnaissance qu’elle relève du règlement », en tant que « paramètre technique ». Cette délégalisation l’autoriserait à prendre un nouveau décret pour abaisser l’âge à 62 ans.
Le Conseil constitutionnel n’est toutefois « pas obligé de le faire », rappelle Bruno Daugeron.
Une nouvelle loi ?
Modifier uniquement cette mesure phare bouleverserait également l’équilibre de la loi de finances dans laquelle elle est inscrite et aurait des répercussions sur l’application d’autres mesures. Interrogé par Franceinfo lundi, le chef de file des socialistes Olivier Faure a estimé qu’il « faut un projet de loi, (que le NFP) soumettra à l’Assemblée ». « On verra à ce moment-là qui est prêt à aller jusqu’au bout et ceux qui, au contraire, font marche arrière », a-t-il dit.
La gauche, loin d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, devra batailler pour obtenir une majorité suffisante pour déposer et faire adopter un tel texte. L’incertitude demeure sur la position du Rassemblement national, qui a également promis l’abrogation.
Reste la possibilité d’un passage en force par le 49-3. « Sur un sujet sur lequel 80% des Français étaient hostiles, (…) tout le monde comprendrait que ce qui a été imposé par le 49-3 pourrait éventuellement aussi être défait par le 49-3 », a déclaré M. Faure.