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La frange du manteau de Jésus, vecteur du don de Dieu

La frange du manteau de Jésus, vecteur du don de Dieu

La frange. Non pas celle que portent les visages des femmes depuis les années 1920, tantôt courte et droite, tantôt longue et bouclée – et même la frange du rideau de Brigitte Bardot. Mais celle du manteau de Jésus. Celle que la foule (entendez : les exclus, les estropiés, les aveugles de naissance…) cherchait à toucher pour obtenir, par un contact furtif, la guérison.

Cette frange s’appelle tsitsit en hébreu. C’est une tresse : huit fils liés ensemble de manière à correspondre, dit-on, aux 613 mitsvot (ou commandements) de la loi mosaïque. Le port de cette frange, aux quatre coins du vêtement, est lui-même un commandement (cf. Dt 22, 12) dont le sens nous est donné par le Livre des Nombres (15, 39) :  » Vous regarderez cette frange et vous vous souviendrez de mettre en pratique tous les commandements du Seigneur. »

Que fait la foule qui se presse autour de Jésus, voulant toucher ?

« Tu la regarderas « Comme le dit si bien notre langage, nous « observons » la loi. Mais alors, que fait la foule qui se presse autour de Jésus, voulant toucher ? Peut-être s’agit-il d’une forme de ferveur populaire, liée au charisme de certains rabbins. Mais il y a plus. Autour de cette frange, une double tension se forme.

En reprochant aux scribes et aux pharisiens d’augmenter la longueur de la frange pour se faire remarquer du public (Mt 23, 5), le Christ met d’abord en tension le visible et l’invisible. Ce qui devrait obliger le fidèle à une disposition intérieure correcte devient le signe extérieur de sa distinction. Inversement, dans l’Évangile de Luc (8, 43-48), la femme au sang touche les bords du vêtement du Christ  » de derrière « , à la dérobée, au milieu d’une foule. Le Christ le sait, non parce qu’il le voit, mais parce qu’il le sent, dans sa chair. Une force, dit-il, l’a quitté.  » Qui m’a touché ? « Dans Marc (5, 31), les disciples s’étonnent : « La foule vous presse et vous vous demandez qui vous a touché ? « Comme chez Matthieu (9, 20-22), le geste de la femme échappe ici à toute visibilité puisqu’il n’est qu’un désir intérieur : » Elle se dit : « Si je touche seulement son vêtement, je serai guérie. » « Et c’est le cas. Cette simple prière, sa confiance accordée, touche vraiment, véritablement, charnellement Jésus (Mc 5,30).

Cette femme sait qu’en Jésus, la Loi doit toucher la chair comme le vêtement colle à la peau.

Trois des quatre évangélistes produisent le récit de cette guérison. Qu’est-ce qui lie si expressément et si intimement la détresse de cette femme et la frange du vêtement traditionnel porté par les hommes ? Vient ensuite la seconde tension : entre la Loi et ce qu’elle exclut. Cette femme, parce qu’elle perd continuellement son sang, est dite impure (Lv 15, 25). Elle est, littéralement, une intouchable. Mais la femme interdite avance vers ce qui l’interdit : elle sent qu’elle peut toucher la Loi. Par effraction ? Par provocation ? Son geste, même s’il n’est pas retenu, comme chez Luc, n’en est pas moins retenu : elle demande aussitôt pardon à Jésus. Au contraire, Jésus admire sa foi. Cette femme sait qu’en Jésus, la Loi doit toucher la chair comme le vêtement colle à la peau. Et de même que le vêtement du Christ, au jour de la Transfiguration, ne fait qu’un avec son corps, rayonnant d’une unique blancheur, ainsi un jour, et c’est maintenant, la Loi se souviendra qu’elle a été faite pour les hommes (Mc 2, 27). Son but n’est pas de circonscrire le don de Dieu mais au contraire, parce qu’il perturbe notre confort, de nous rappeler la nécessité de le faire circuler.

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