La France perd son statut privilégié sur les marchés
Michel Barnier, Premier ministre, a la lourde tâche de redonner une certaine crédibilité au budget de l’État. Dans neuf mois, hors mesures correctrices, le budget 2024 et 2025 aura en effet baissé, sous les gouvernements précédents, de 100 milliards d’euros par rapport aux prévisions de janvier dernier.
Cette incohérence commence à se faire sentir. La prime de risque de la dette française par rapport à la dette allemande oscille désormais entre 70 et 80 points de base. C’est plus cher que l’Espagne, le Portugal ou l’Irlande. Cette différence de taux (propagé) était de 55 points de base il y a un an.
Les agences de notation sont aux aguets. En avril dernier, l’agence S&P avait déjà abaissé d’un cran la note de la France à AA-, avec perspective stable, rejoignant ainsi la note de Fitch (perspective stable). Seule l’agence Moody’s a maintenu sa note un cran au-dessus à Aa2, toujours avec une perspective stable. La prochaine revue des agences, en octobre et novembre, risque de faire mal.
Changement de perspective en vue
« En toute logique, compte tenu de la dégradation des finances publiques et du peu de leviers d’action, une ou deux agences devraient passer à une perspective négative, ce qui leur donnerait plus de marge de manœuvre pour dégrader la note l’année prochaine si nécessaire. » un manager s’avance. Tous les regards sont évidemment tournés vers l’agence Moody’s, qui doit prendre une décision le 25 octobre, lors de l’examen complet du budget 2025 au Parlement.
Sur les marchés, les investisseurs ne s’attendent cependant pas à une panique sur la dette française. » Les agences de notation ont moins d’influence sur la dette souveraine que sur la dette des entreprises. L’avis d’une agence ne fait finalement que valider une situation dégradée (ou améliorée), déjà intégrée par le marché. C’est pour cette raison que l’impact d’un changement d’opinion est souvent limité. » explique Xavier Chapard, stratège chez LBP AM. D’un autre côté, cette démonstration publique a le don d’agacer les gouvernements.
Déjà intégré par les marchés
En effet, un spread de 80 points de base équivaut déjà sur le marché à une note de la France inférieure de deux ou trois crans, à la frontière de A/A3 et de BBB/Baa1, selon l’échelle de notation des agences. Bref, la mauvaise nouvelle est déjà connue et seul un nouveau dérapage ou une crise alimentaire pourrait faire monter le prix. propagé vers 90 points de base, selon les analystes de Barclays. Dans un scénario plus favorable de consolidation budgétaire crédible, un retour à 65 points de base n’est pas exclu, toujours selon la banque britannique.
« Nous assistons à une augmentation durable mais silencieuse de la prime de risque en France. » regrette Christopher Dembik, conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet AM. « C’est toujours un signal inquiétant, les marchés n’aiment pas ça et cela pourrait effrayer certains gros investisseurs », explique Catherine Gerst, professeur de finance à Paris-Saclay et ancienne patronne de Moody’s France. La vente massive en juillet dernier de la dette française par des investisseurs japonais n’est pas passée inaperçue.
Effets collatéraux
« Le sujet de notre exposition à la dette émise par l’État français est revenu au centre de nos préoccupations début 2024 en prévision de la dégradation de la note par S&P. Le contexte politique incertain nous a poussé à faire une pause avant de revenir cet été compte tenu de la visibilité accrue et de l’élargissement de la dispersion française. reconnaît Gaël Moreau, responsable de la gestion d’actifs chez l’assureur MAIF.
Mais, précise-t-il, « ce n’est pas tant la dette française qui suscite notre inquiétude que les effets collatéraux d’une éventuelle dégradation (de la note de la France) sur les émetteurs privés qui sont liés à la note souveraine, et qui peuvent avoir un impact sur nos ratios de solvabilité » . C’est notamment le cas de la dette des banques françaises, qui sont de gros émetteurs sur le marché. Mais aussi de nombreux secteurs, comme les services communautaires.
Une note qui reste de qualité
« La notation de la France reste dans une catégorie de qualité. Très peu d’investisseurs ont des critères d’exclusion au sein même de la catégorie Investment Grade, du moins tant que la notation reste dans la catégorie A.» met Xavier Chapard en perspective.
Bref, il y a de la place. Ensuite, un investisseur qui souhaite acheter de la dette souveraine de qualité de la zone euro n’a d’autre choix que d’acheter de la dette française, faute d’alternative, l’Allemagne émettant peu de dette. « La France a toujours été le passager clandestin de l’Allemagne » rigole Xavier Chapard. Pour Gaël Moreau, « Il y aura encore des investisseurs dans les prêts français, d’autant que le marché du crédit reste relativement cher. »
Mais le « privilège » de la dette française, celui dont se vantent régulièrement les ministres des Finances successifs sur le thème « il y aura toujours des acheteurs malgré les déficits », pourrait être lassant.
Démantèlement progressif
» La dette française a toujours été mieux considérée que les dettes d’autres pays de notation équivalente dans la zone euro. Ce n’est plus forcément le cas aujourd’hui.» reconnaît Xavier Chapard. « La France a toujours su rassurer les agences de notation par sa capacité et son ingéniosité à augmenter les impôts. » rappelle Catherine Gerst, qui s’interroge pourtant aujourd’hui sur le niveau élevé de la fiscalité. En termes de prix de marché, la France est clairement reléguée aux « pays périphériques », ceux qu’on appelait, avec un certain dédain, dans les années 2010, les « COCHONS ».
Il n’en reste pas moins que le taux de la dette française, les intérêts effectivement payés, sont aujourd’hui plus bas qu’il y a un an. « Le contexte monétaire est plus favorable. L’écart entre la France et l’Allemagne pourrait se creuser, mais la dette française resterait affectée par la baisse des taux de la Banque centrale européenne. raconte Gaël Moreau. Le taux français devrait donc progressivement glisser en dessous de 3%… même s’il le fait moins vite que d’autres pays !