En 2022, face aux menaces contre les militants écologistes, les Nations Unies ont créé le poste de rapporteur spécial sur les défenseurs de l’environnement. Ancien directeur d’Amnesty International France, Michel Forst a hérité de ce mandat inédit. Son objectif : les protéger contre toute forme de harcèlement, de persécution ou de pénalisation.
Dans cet entretien avec Reporterre, il assure que la répression législative, policière et judiciaire de la désobéissance civile environnementale constitue une menace majeure pour la démocratie et les droits de l’homme. Michel Forst note également que « La France est le pire pays d’Europe » concernant le maintien de l’ordre.
Reporterre – Frappé par les témoignages recueillis aux quatre coins du continent, vous dressez un panorama européen de la répression des militants écologistes. Considérez-vous que les droits de l’homme sont aujourd’hui menacés ? ?
Michael Forst- Oui. A l’exception de la Norvège, véritable particularité de ce paysage, les mêmes phénomènes s’observent partout. Les personnalités politiques commencent par marteler un discours très discriminatoire, voire diffamatoire, en utilisant des termes comme « écoterroristes » Ou « Talibans verts ».
Les média grand public relayer ces commentaires et encourager involontairement les utilisateurs à assimiler les activistes à des terroristes ou à des criminels. Preuve de l’impact de ce discours : en Allemagne, des automobilistes traînés par les cheveux, ont frappé et roulé sur des manifestants alors que ceux-ci bloquaient simplement une route.
En outre, les pouvoirs publics l’utilisent pour justifier le recours à des méthodes auparavant réservées à la lutte contre le terrorisme. En Italie, de nouvelles lois anti-mafia voient le jour et se durcissent. En Allemagne, les lois destinées à lutter contre la faction armée rouge dans les années 1970 sont en train d’être mises au goût du jour.
Des cellules spécialisées sont créées, comme Déméter en France (qui surveille « attaques contre le monde agricole »). Et dans les documents officiels de certains pays, les mouvements écologistes sont clairement désignés comme « à tendance terroriste », voire parfois des terroristes. Cette assimilation me fait peur.
Comment se positionne la France dans ce panorama ? ?
La France est le pire pays d’Europe en matière de répression policière contre les militants écologistes. La violence de la police est hors catégorie. Leurs homologues à l’étranger ne comprennent pas la manière dont les Français réagissent aux manifestations, ne comprennent pas qu’une telle violence puisse être utilisée.
« Si la France est la pire en termes de maintien de l’ordre, la Grande-Bretagne est la pire en termes de répression judiciaire. »
En Allemagne, les arrestations sont assez nombreuses « musclé ». Le recours à des prises très douloureuses, appelées « prise de douleur » et consistant à se tordre le poignet, équivaut à une torture. Mais cela n’a rien à voir avec la répression policière actuelle à laquelle les militants français sont confrontés de plein fouet. Ici, gaz lacrymogènes et grenades de désencerclement sont lancés sans aucune distinction. Le phénomène du piège, bien qu’interdit, est toujours d’actualité. Autant d’abus qu’on n’observe pas à l’étranger.
Y compris en Grande-Bretagne, où la répression contre les écologistes semble se durcir de mois en mois. ?
Celui-ci est différent. Si la France est le pire pays européen en termes de maintien de l’ordre, la Grande-Bretagne est le pire en termes de répression judiciaire. Des peines allant jusqu’à 30 mois de prison ont été prononcées pour avoir bloqué un pont ou une autoroute.
En outre, les sociétés d’autoroutes peuvent exiger des sommes énormes aux militants pour le climat, sous prétexte que l’interruption du trafic a entraîné une perte financière de plusieurs centaines de milliers de livres. Là où, en France, 1 euro symbolique aurait probablement été demandé.
Et ce n’est pas tout ! Les tribunaux interdisent aux avocats de présenter des défenses fondées sur « besoin ». Les militants n’ont pas le droit d’expliquer pourquoi ils ont agi. Le moindre acte de prononcer les mots « climat » Ou « changement climatique » entraîne une condamnation pour outrage au tribunal.
Condamner des militants pacifistes à de telles peines est-il conforme au droit international ? ?
Pas du tout, et c’est là le paradoxe. Le droit international des droits de l’homme considère la désobéissance civile comme protégée. Les États ont l’obligation de respecter et de protéger le droit d’utiliser cette forme d’expression. Les militants ne devraient pas être punis pour avoir occupé des arbres sur le chantier de l’A69, pulvérisé de la peinture sur un ministère ou interrompu une compétition sportive. La loi les protège.
J’accepte que le juge condamne, puisqu’il y a bien violation de la loi. Toutefois, la condamnation doit être symbolique, ou être prononcée mais non mise en œuvre.
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Dans plusieurs pays, comme l’Allemagne, la Suisse ou encore la France, certains magistrats commencent à reconnaître la légitimité de la désobéissance civile. En avril, à La Rochelle, neuf militants d’Extinction Rebellion ont été relaxés par le tribunal correctionnel pour « l’état de nécessité ». Malheureusement, de nombreux magistrats en Europe ne suivent pas encore cette voie.
Qu’entendons-nous exactement par « désobéissance civile » ?
Aujourd’hui, il n’existe pas de définition universellement acceptée. Le Rapport spécial utilise cependant quatre critères cumulatifs pour décider de se saisir ou non d’une affaire : Il doit s’agir d’actes de violation délibérée de la loi, dans le but d’attirer l’attention sur une question d’intérêt public, commis publiquement et non au fond de son jardin, et ce, sans recourir à la violence contre les personnes. Si ces critères sont remplis, alors la personne est protégée par le droit international.
Vous parlez seulement de « violence contre les gens « . Alors, incendier des engins de chantier sur l’A69 ou saboter une usine de la société Lafarge est-il également protégé ? ?
Une distinction très claire doit être faite entre les personnes et les biens. Attaquer quelqu’un est totalement interdit. Dès que des militants commencent à lancer des pierres ou des cocktails Molotov, même en réponse à des violences policières, on entre dans la violence, et cela est interdit par les Nations Unies.
Pour les marchandises, c’est un peu différent. Je n’utilise pas le mot sabotage. Je me limite à l’observation. Encore une fois, la désobéissance civile se veut symbolique. Démonter la vanne d’un mégabassin pour la placer devant une préfecture accompagné d’un message politique n’est pas un sabotage violent et est donc autorisé par le droit international.
Même chose s’il s’agit de découper au cutter un mètre de plastique sur ces installations ou de briser un cadenas pour entrer dans une serre et arracher dix mètres carrés de plantes transgéniques… Il y a bien une entrave à la loi, mais elle est autorisée par la loi internationale. En revanche, détruire des serres entières de 100 m de long n’est plus un symbole. Le sabotage d’une usine ou l’incendie de machines ne le sont pas non plus. Là, on sort du cadre de la désobéissance civile pacifiste.
Les journalistes peuvent aussi être victimes de cette répression.
Oui. La simple habitude des journalistes de couvrir les manifestations avec une protection de la tête aux pieds est un mauvais signe. Les journalistes, dont le travail remarquable met en lumière les liens entre les intérêts privés et les décisions néfastes pour l’environnement prises par les États, sont des défenseurs de l’environnement. Ils peuvent donc bénéficier d’une protection.
« La répression s’abat avec une grande violence sur tous les mouvements de liberté »
Quand votre collègue ReporterreElsa Souchay m’a parlé (elle était accusée d’avoir participé à une action illégale des Faucheurs Volontaires deOGM), j’ai immédiatement décidé de me saisir de l’affaire. Dans de nombreux pays, les journalistes sont de plus en plus assimilés à des militants. Ils peuvent porter un brassard de presse ou toutes sortes de signes distinctifs, mais ils sont parfois malmenés par la police, voire arrêtés.
J’ai moi-même été témoin de ces dérives sur le chantier de l’A69, entre Toulouse et Castres. Venu observer le traitement réservé aux « écureuils » (le nom des militants perchés dans les arbres), j’ai découvert que les journalistes étaient bloqués par un cordon de gendarmes dans un ravin au-delà de la route. Le préfet avait demandé qu’on les empêche d’approcher et de filmer mon intervention. J’ai donc été obligé de descendre vers eux pour leur expliquer les raisons de ma venue.
Avec un peu de recul maintenant, avez-vous le sentiment d’être entendu par les dirigeants avec qui vous traitez ? ? Les Nations Unies ont-elles encore un impact à ce niveau ? ?
Malheureusement, il est indéniable aujourd’hui que nous vivons dans une Europe et un monde très dangereux, dans lesquels la répression s’abat avec une grande violence sur tous les mouvements de liberté. Cependant, nous parvenons à résoudre de nombreux cas. Souvent, le simple fait d’alerter dissuade les États ou les entreprises de poursuivre les démarches entreprises contre un activiste.
Quant aux nombreux parlementaires qui mènent une contestation contre les Nations Unies et la Cour pénale internationale, sachez qu’il s’agit de discours de campagne. Très clairement. En pratique, les relations entre les États etONU fonctionner efficacement.