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La France a-t-elle déjà connu un tel niveau de tension politique depuis la Ve République ?

A quelques jours du premier tour des élections législatives anticipées, le climat est très tendu en France, à tel point qu’il est rare de retrouver une ambiance aussi anxieuse lors d’un scrutin depuis le début de la Ve République.

Silences gênants à la machine à café au travail, engueulades lors des déjeuners de famille le dimanche, attaques contre des personnalités et faits divers sordides… Rarement une élection aura suscité autant de tensions en France. Le président de la République a même prédit un « guerre civile » si l’un des principaux partis d’opposition venait à remporter ces élections législatives anticipées.

Si l’on regarde la chronologie du Ve République, le nombre d’élections qui ont suscité tant de doutes, de peurs et donc de tensions, se comptent en effet sur les doigts d’une main.

1958 : véritable guerre civile et débuts de la Ve République

L’année 1958 est la première date qui vient à l’esprit lorsqu’on parle de bouleversements politiques et d’élections compliquées. Cela commence sous le IVe République, a vu naître une guerre civile en mai avec les insurrections d’Alger, puis s’est terminée par le vote de la Constitution du Ve République en octobre et élection présidentielle en décembre.

La situation est évidemment très tendue dans le pays, mais elle s’apaise avec la nomination du général de Gaulle à la présidence du Conseil en juin 1958, dont l’enjeu sera d’écrire une nouvelle Constitution.« Ça s’est calmé au fil des mois, notamment avec le référendum de la Ve République, qui a été un vrai succès »souligne l’historien Michel Winock, spécialiste de l’histoire de la République française.

« Les troubles ne sont pas liés aux élections elles-mêmes »confirme Jean-Yves Camus, co-directeur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès. En effet, l’élection présidentielle de décembre 1958 s’est déroulée normalement. Surtout, c’est la seule élection présidentielle qui se déroulera au suffrage universel indirect, dans un collège restreint, avec 80 000 électeurs.

1968 : après Mai-68

« Il y a une autre période qui est assez paroxystique, celle de 1968, après ce qu’on a appelé les événements de Mai »continue Jean-Yves Camus. Après avoir vu des milliers de travailleurs et d’étudiants descendre dans la rue, le président de la République Charles de Gaulle annonce la dissolution de l’Assemblée nationale.

« Il prend acte de la crise de Mai 68 et souhaite obtenir une majorité encore plus large face à ce qu’il considère comme une menace de subversion. »

Jean-Yves Camus

sur franceinfo

Il est tentant de faire un parallèle avec la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par Emmanuel Macron le 9 juin 2024, au soir des élections européennes. Mais il y en a plusieurs « différences notables » selon Jean-Yves Camus. Déjà « Mai 68 a mis des dizaines de milliers de personnes dans la rue »Suivant « nous sommes dans une période où nous avons un Parti communiste (PC) qui oscille entre 23 et 25% des voix, (…) un PC qui est une courroie de transmission pour le Parti communiste soviétique, et une situation insurrectionnelle qui a a quand même mobilisé le pays tout au long du mois de mai 1968. »

Enfin, autre différence majeure, il n’y avait aucune incertitude sur le lendemain de ces élections. Le parti présidentiel remporte largement ces élections législatives de juin 1968 avec 49,80 % des voix. Un score difficilement imaginable pour le parti majoritaire aujourd’hui, en troisième position des intentions de vote.

1981 : Chars soviétiques à Paris

En 1981, l’élection présidentielle était aussi dans tous les esprits, « parce que les enjeux sont énormes », note Jean-Yves Camus. Pour la première fois depuis le Front populaire en 1936, la gauche est aux portes du pouvoir, François Mitterrand est favori dans les sondages.

Panique là où « une dramatisation des enjeux » se met en place, se souvient Jean-Yves Camus qui était à l’époque « un activiste de base. » « La droite nous promettait l’arrivée des chars soviétiques en France, la mise fin à la faillite du pays par le bloc communiste, des arrestations massives et toutes sortes d’absurdités. Très vite, les gens se sont rendu compte que ce n’était pas le cas. Elle n’avait pas la moindre crédibilité. « 

Les élections législatives décidées par François Mitterrand qui vient de poser ses valises à l’Élysée « étaient aussi musclés »rappelle Jean-Yves Camus. Ce n’est pas encore comparable avec la situation actuelle, selon le codirecteur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès :« JEL « Il n’y avait pas cette manière dont le président de la République et le Premier ministre utilisent actuellement, de poser le combat entre l’extrémisme et la démocratie. François Mitterrand n’a pas fait ça. Il a proposé un choix de société. »

2002 : Jean-Marie Le Pen au second tour

Un autre moment de tension dans l’histoire du Ve République, 21 avril 2002. Jean-Marie Le Pen, cofondateur du Front national, parti d’extrême droite, est qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle.

Très vite, de nombreuses manifestations contre l’extrême droite sont organisées. « Les gens étaient assez fébriles, émus et extrêmement mobilisés, dans la tension entre les deux tours de 2002, mais avec toujours une sorte d’assurance que Jean-Marie Le Pen de Paris ne passerait pas »rapporte Cécile Alduy, professeur à l’Université de Stanford et chercheur associé au Cevipof de Sciences-Po à Paris.

En effet, le Front National ne dispose d’aucune réserve de voix, « c’était déjà énorme de le voir accéder au deuxième tour »confirme Jean-Yves Camus. Le 5 mai, Jean-Marie Le Pen a recueilli 17,79 % des voix, contre 16,86 % des voix sept jours plus tôt, réunissant les voix de Bruno Mégret et Christine Boutin qui ont échoué au premier tour.

2024 : le Rassemblement national aux portes du pouvoir

« Aujourd’hui, il y a une configuration complètement différente, c’est 35% pour le RNpoursuit Jean-Yves Camus. L’hypothèse de l’arrivée au gouvernement est donc bien plus forte aujourd’hui qu’elle ne l’était. » en 2002. Pour la première fois dans l’histoire du Vet République, parti d’extrême droite, est favori, en tête des intentions de vote, pour être élu démocratiquement par les Français.

Autre sujet de tension, compte tenu des enjeux et des conséquences pour ces élections législatives anticipées, la participation risque d’être plus élevée que d’habitude, et renforce l’incertitude sur ce scrutin.

« L’incertitude ajoute à la tensionsouligne Cécile Alduy, et aussi cchaque camp défavorisé diabolise les autres. Cela a donc créé une sorte d’antagonisme absolu entre les camps. » ce qui ne permet pas d’imaginer ces derniers former par la suite une coalition politique.

Autre différence qui fait des élections législatives de 2024 un scrutin particulier dans l’histoire du V.e République : lorsque le général de Gaulle dissout en 1958 l’Assemblée nationale, c’est parce que le recours aux élections était synonyme de pacification, soutient l’historien Michel Winock. « Ici, nous nous trouvons dans le cas inverse, puisque les élections risquent de créer le chaos au lieu de la paix sociale. »

En revanche, d’autres pays européens ont vu l’extrême droite arriver au pouvoir ou ont connu des élections législatives très compliquées à gérer, et ne sont pas tombés dans le piège. « chaos ». Mais « En France, il n’y a pas de culture de coalition »pointe Michel Winock, qui doute d’alliances politiques fructueuses après ces élections législatives.

Cammile Bussière

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