La France à la croisée des chemins
C’est une géographie et une organisation sociale qui prennent aujourd’hui la forme d’une réalité simple pour les habitants : soit celle d’être assigné à la conduite, soit celle d’être assigné à leur domicile. La voiture est omniprésente et ses habitants sont ceux pour qui le droit à la mobilité se résume généralement à l’usage exclusif de leur voiture.
Pourtant, 51 % des Français déclarent vouloir se passer de leur voiture, même s’ils estiment que « ce n’est pas du tout possible » et cette proportion passe à 60 % en zone périurbaine et 67 % en zone rurale(3) :constat d’une aspiration à une mobilité plus durable et plus accessible, contrariée par l’absence d’alternatives viables pour réaliser ce changement.
La France qui roule est victime d’une double dynamique qui se perpétue : la liberté de circulation grâce à la voiture, qui a permis à son tour l’éloignement des emplois, des commerces et des services (publics) de proximité. La voiture, initialement émancipatrice, est devenue indispensable et la dépendance au système automobile est profonde.
La population conductrice française est celle qui parcourt le plus de kilomètres en voiture chaque jour et se retrouve donc en première ligne face à l’augmentation des prix de l’énergie et aux nécessaires contraintes liées à la transition.
La dégradation de l’accès aux services publics et les contraintes de mobilité alimentent un sentiment d’abandon et de concurrence avec des territoires qui capteraient l’engagement de l’État – les centres-villes en particulier. Elle se traduit aussi par un rejet des politiques publiques de transition écologique (véhicules électriques, zones à faibles émissions, taxe carbone…). Les « fins de mois » difficiles nous font oublier les périls de la « fin du monde ». Nous le comprenons, et pourtant nous ne pouvons l’accepter.
C’est donc sur ces territoires que se concentrent les enjeux de mobilité pour atteindre les objectifs climatiques et vivre ensemble durablement.Les notions de transition « juste » et « solidaire » en sont les corollaires essentiels.
Il existe une solution à cette équation impossible : il faut changer de perspective et réinterpréter le système de transport existant.
Pour que la France qui roule ne soit plus assignée au volant, il lui faut – comme pour la France des centres-villes – un système de mobilité de qualité, qui ne se limite pas à « je prends mes clés et je démarre le moteur ». Il faut créer un « choc d’offre multimodal », terme abscons pour désigner un « système de transport public de qualité ».
Contrairement aux centres-villes qui sont suffisamment denses pour disposer d’un système largement composé de « gros véhicules » (tramway, métro, bus etc.), les zones moins denses doivent néanmoins pouvoir compter sur un parc de véhicules adapté au nombre de personnes à transporter. :« gros véhicules » (RER, bus), mais aussi « petits véhicules » (voitures). D’autre part, ces voitures doivent être utilisées comme des transports collectifs, intégrés dans un système de mobilité plus large, ce qu’elles ne sont pas aujourd’hui.
Le système de mobilité en dehors des centres-villes est en effet particulièrement inefficace : bien qu’ultra-dominante, la voiture ne transporte en moyenne que 1,4 personne, pour une capacité de 5 places. Les places libres sont nombreuses mais restent des capacités de transport inutilisées car inutilisables. Nous importons les matières et le pétrole nécessaires à notre existence ; ils sont présents dans les territoires qui en ont besoin. Il existe un potentiel considérable d’amélioration du système de mobilité.
Ce livre blanc propose de faire de la sobriété le socle d’une reconquête territoriale des services publics de mobilité, avec une vision multimodale incluant la voiture. Cette sobriété dans l’usage des véhicules et de la voirie passe par le déploiement d’un transport de qualité, au-delà des centres-villes, qui s’appuie sur les mêmes critères de qualité de service qu’en zone dense. L’enjeu est de passer du système de la voiture solo à un système de transport public réellement compétitif, incluant la voiture.
Le réseau ferroviaire et le réseau routier peuvent se compléter pour offrir à la France des lignes de transport public de qualité, dites « express » : Lignes RER, lignes express de bus, lignes express de covoiturage, lignes express de vélo. Sur la base de ce réseau fondamental, la mobilité à la demande peut être déployée efficacement : autopartage, covoiturage planifié, transport à la demande, transport solidaire, etc. Ce système de mobilité complet permettra à de nombreux résidents de lâcher le volant, parfois ou tout le temps.
Pour structurer un tel système, il est nécessaire de faire tomber certaines frontières symboliques dans le champ de la mobilité. Celles qui opposent modes actifs, modes routiers et modes ferroviaires ; celles qui opposent voitures et transports publics ; et celles qui opposent constructeurs, gestionnaires d’infrastructures et opérateurs de mobilité.
Le cœur de la démarche est la volonté de transporter les personnes avec le coût environnemental et économique le plus bas possible.
Cette sobriété passe par la réduction des distances et le remplissage des véhicules, qu’ils soient grands ou petits. Cette approche systémique permettra une transition rapide, cohérente et efficace qui ne laisse personne de côté. Elle est techniquement et économiquement possible ; il suffit de décider de la mettre en œuvre.
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1 Données Insee issues des fichiers démographiques sur l’habitat et les individus (Fideli), 2018. Découpage basé sur la grille communale de densité à 7 niveaux du 1er janvier 2024. Ont été ici pris en compte les centres urbains intermédiaires, les petites villes, les ceintures urbaines, les communes rurales, les zones rurales à habitat dispersé et très dispersé.
2 Données Insee sur les populations communales pour chaque recensement de 1876 à 2021. Découpage basé sur la grille communale de densité à 7 niveaux du 1er janvier 2024. Ont été ici pris en compte les centres urbains intermédiaires, les petites villes, les ceintures urbaines, les communes rurales, les zones rurales à habitat dispersé et très dispersé.
3 Ipsos, Les mouvements des Français, 2022.