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La force démocratique de la gauche lui ouvrira les portes de l’Élysée

La nouvelle est écoeurante pour les électeurs de gauche, et plus généralement pour tous ceux qui restent attachés au respect du suffrage universel et des normes républicaines. La nomination de Michel Barnier au poste de Premier ministre est un camouflet à la démocratie, qu’on l’entende comme l’exigence de cohabitation qui s’est exprimée souverainement dans les urnes, ou comme un équilibre des pouvoirs, avec un présidentialisme autoritaire qui place désormais la France au rang des démocraties illibérales. Comme l’écrivait Claude Lefort, la démocratie repose sur le principe de non-incarnation du pouvoir, qui doit rester un lieu vide, soumis à un principe d’incertitude. peut et doit changement. Ce qui s’est passé s’inscrit dans la dynamique inverse : quel que soit le message des urnes, les citoyens sont confrontés à la « certitude du pouvoir ». Sous couvert de stabilité politique, toute alternance qui remettrait en cause la gouvernementalité néolibérale, c’est-à-dire l’assujettissement de la politique aux marchés, est rendue impossible.

Primauté présidentielle

Mais dans cette nouvelle affirmation de la « primauté présidentielle », la donne pourrait s’inverser. Les pages qui s’écrivent aujourd’hui résonneront lors de la prochaine campagne présidentielle. Avec la brutalisation du Parlement et les élections législatives que le macronisme a initiées, la légitimité suprême de l’élection présidentielle se trouve renforcée. Qu’on l’approuve ou non, la manière dont le président de la République a mené ses « consultations » au nom de l’article 8 de la Constitution, qui ne lui accorde explicitement aucun pouvoir de « choix » mais une prérogative de nomination, prouve qu’en France le président de la République peut s’arroger un pouvoir qui dépasse les autres pouvoirs. La Constitution de 1958, avec ses zones d’incertitude, le lui accorde en réalité. Attention : l’élection présidentielle est LE rendez-vous électoral du pays. Dans cette perspective, la gauche dispose en réalité, de par la situation politique actuelle, d’un avantage indéniable. En ayant maintenu la cohésion du Nouveau Front Populaire (NFP) face aux nombreuses tentatives politico-médiatiques de division, elle a joué, tout l’été, la carte de la cohérence programmatique. Unis derrière sa candidate Lucie Castets, ils ont été épinglés pour leur incapacité à négocier, à faire des compromis, à élargir leur majorité relative quitte à sacrifier leur unité politique. Après la nomination de Barnier, le reproche a pris une tournure culpabilisante : par son obstination, la gauche serait coupable de ce basculement gouvernemental vers la droite « dure », qui ne pouvait que sonner à terme le glas du NFP.

L’élection « qui compte », celle de 2027

Or, c’est précisément le opposé En ayant joué jusqu’au bout la carte de la cohésion politique, la gauche se prépare sciemment à l’élection « qui compte », celle de 2027. Le déni démocratique qu’elle a subi est en passe de devenir une nouvelle force mobilisatrice, tant sur le plan social qu’électoral. Dans la crise profonde de la démocratie représentative, alimentée par une défiance croissante envers le personnel politique, les institutions, les partis et les procédures électorales, la gauche pourrait incarner, à travers l’injustice qu’elle vient de subir, le souffle du renouveau démocratique. Un renouveau qui devrait s’exprimer dans l’exercice du pouvoir, plus compatible avec l’équilibre des pouvoirs, mais aussi dans l’écoute des revendications de justice sociale qui ne manqueront pas de s’exprimer d’ici 2027, autour des services publics, du pouvoir d’achat, des inégalités fiscales et environnementales. Dans ce devoir d’écoute, et de jonction nécessaire avec les mouvements sociaux, la forme du Nouveau Front Populaire reste essentielle. Comme je l’avais suggéré dans L’esprit démocratique du populismeLe populisme de gauche, incarné par La France insoumise (LFI), est une force bénéfique à la démocratie, car elle permet de pointer ses promesses non tenues et sa dérive oligarchique. Cependant, comme le montre la tradition populiste latino-américaine, ce type de politique, une fois au pouvoir, n’est pas exempt de contradictions, du fait de la forte polarisation sociale qu’il produit dans la société. Dans l’écosystème de la France insoumise, la force critique et contestataire de LFI est contrebalancée par ses partenaires, qui se trouvent à leur tour « radicalisés », au regard de leur attachement à la souveraineté démocratique du peuple, par LFI. La cohésion n’est donc pas seulement une stratégie électorale de « cartellisation » ; c’est une véritable logique politique, qui permet d’équilibrer et de compenser les forces et les faiblesses de chaque parti, afin d’éviter les dérives symétriques du jacobinisme et du libéralisme social.

L’exécutif Barnier n’est viable qu’avec un accord de gouvernement entre le bloc central et la droite, et une promesse de non-censure de l’extrême droite qui lui accorde le rôle stratégique d’équilibre politique. Si cet accord est durable, au moins jusqu’à l’été 2025 où le Président pourra déclencher une nouvelle dissolution, la gauche aura de facto le monopole de l’opposition. C’est une position politique à laquelle elle a été contrainte, certes, mais qui n’est pas dénuée d’avantages dans la perspective de la prochaine élection présidentielle. La gauche pourra capitaliser sur l’opposition au gouvernement Barnier, et se présenter comme la seule alternative au cartel de la droite, allant de Macron à Le Pen. Le RN aura du mal à maintenir sa démagogie routinière en matière de justice sociale et fiscale, s’il consent à terme à un gouvernement dont tout porte à croire qu’il accentuera la politique néolibérale du président de la République. Il aura encore un chauvinisme et une xénophobie providentiels. A cet égard, du point de vue de la bataille idéologique (ou « hégémonique » au sens de Gramsci), cette dissolution aura au moins produit l’effet escompté : la clarté.

Derniers ouvrages publiés : L’esprit démocratique du populisme (La Découverte) et Émancipation (Anamosa).

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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