« La foi n’a pas besoin de phénomènes surnaturels »
La Croix : Préfet du dicastère pour la doctrine de la foi, le cardinal Manuel Fernandez a annoncé la publication vendredi 17 mai d’un nouveau document relatif au discernement des apparitions mariales et autres événements surnaturels. Quel pourrait être le contenu d’un tel texte ?
Joachim Bouflet : Nul ne sait pour l’instant quel peut en être le contenu, mais cela pourrait être l’occasion d’exigences plus fortes à l’égard de ces phénomènes pseudo-mystiques, notamment les apparitions mariales. Le texte précédent datant de 1978, on y voit aussi un affinement nécessaire pour mieux comprendre ces questions qui ont pu évoluer. Enfin, la situation de Medjugorje, que l’Église a pris le temps d’analyser, a sans doute conduit à reprendre le dossier des apparitions.
Le texte viendra du dicastère pour la doctrine de la foi : qu’est-ce que cela signifie ?
JB : Dans une société sensible au merveilleux et au surnaturel, c’est l’occasion d’inviter à prendre ses distances avec ces phénomènes. Il est important de se rappeler que les signes, quels qu’ils soient, ne changent pas notre foi. Ce qui devrait conduire à plus de rigueur face aux propositions. Pourquoi recourir, par exemple, à la pseudo-mystique Maria Valtorta (1897-1961), alors que l’Église ne reconnaît pas ses écrits comme étant d’inspiration surnaturelle ? S’il existe tant de mystiques authentiques et reconnus, comme Jean de la Croix, Edith Stein, Madeleine Delbrêl…
Ne sont-ce pas principalement les apparitions de la Vierge qui sont au cœur de ce débat ?
JB : Les apparitions de la Vierge nourrissent l’imagination mais si elles nourrissent la foi, je ne suis pas sûr. Lorsque les pèlerins se rendent rue du Bac, à Paris, que la Vierge soit apparue ou non ne change rien à leur prière à Marie. Savent-ils seulement qu’il n’y a pas eu de reconnaissance officielle des apparitions de Catherine Labouré ?
Comment expliquer l’engouement pour ces signes qui pourraient fortifier la foi chrétienne ?
JB : Parce qu’il y a une soif de nouveauté : pourquoi néglige-t-on Padre Pio qui a vécu tant de phénomènes étranges ? Aujourd’hui, il est canonisé et n’intéresse plus grand chose… Qui s’intéresse à Sœur Mariam de Jésus Crucifié, carmélite décédée à l’âge de 32 ans à Bethléem en 1878 ? Pour beaucoup de nos contemporains, plus qu’une recherche mystique, elle m’apparaît comme une évasion de la réalité, une manière de se rassurer par des dévotions exagérées. Comme si nous avions besoin de quelque chose d’extraordinaire, de dénigrement d’une foi simple. Pourtant, les recherches mystiques ne font pas de bruit, elles se déroulent dans les domaines les plus intimes. Nous n’avons pas besoin d’accumuler des signes pour croire, l’Évangile devrait nous suffire.
Si les apparitions elles-mêmes ne sont peut-être pas essentielles, quelle signification peuvent encore avoir les pèlerinages ?
JB : A Lourdes ou à Pellevoisin par exemple, dans bien d’autres lieux de prière mariale, il existe une véritable pastorale autour de Marie, qu’il y ait eu apparition ou non. La piété populaire vient prier la Vierge et n’attend aucune autre aide. J’ai confiance dans la foi populaire. A l’inverse, certains utilisent le surnaturel pour susciter l’émotion, le sensationnalisme, l’excès, ce qui n’a rien à voir avec la foi. La foi est incarnée, elle est charité, souci des pauvres, travail pour la paix. La foi est à l’œuvre, elle n’a pas besoin de signes extraordinaires.
Que pourrait apporter le nouveau texte ?
JB : Je ne connais pas le contenu. La première chose à faire serait de redonner aux évêques le pouvoir de discerner sans avoir toujours recours à Rome. Ensuite, vivre l’ecclésialité au niveau local signifie aussi être à l’écoute de la piété et de la sagesse populaires. Il y a de vrais problèmes.
(1) Auteur deImpostures mystiques (Cerf, 2023, 392 p., 25 €).