La flotte « fantôme » de pétroliers russes préoccupe les pays riverains de la mer Baltique
En décembre 2022, après avoir décrété un embargo sur les importations de pétrole brut russe par voie maritime, l’Union européenne (UE) s’est associée au G7 pour fixer le prix du baril à 60 dollars maximum, l’objectif étant de limiter la marge de manœuvre de Moscou. manœuvre pour financer la guerre en Ukraine.
« Le plafonnement des prix permettra aux opérateurs européens de transporter du pétrole russe vers des pays tiers, à condition que le prix de ce dernier soit strictement inférieur au plafond. (…) Il a été spécifiquement conçu pour réduire davantage les revenus de la Russie, tout en préservant la stabilité des marchés mondiaux de l’énergie, qui continueront à être approvisionnés », expliquait alors la Commission européenne.
La présidente de cette dernière, Ursula von der Leyen, a salué cette décision, censée « réduire la capacité de la Russie à faire la guerre en Ukraine », tout en permettant de « stabiliser les prix mondiaux de l’énergie ». Et d’ajouter que cela « bénéficiera à tous les pays du monde, actuellement confrontés à des prix élevés du pétrole ».
Puis, en février 2023, les pays membres de l’UE, suivis du G7 et de l’Australie, ont durci ce système en l’étendant aux produits pétroliers raffinés russes. « Les prix plafonds sont désormais fixés à 100 dollars le baril pour le diesel et à 45 dollars le baril pour le fioul et les autres produits pétroliers. Les cargaisons de carburant russe qui seront chargées sur des navires appartenant à des sociétés de l’UE ou du G7 seront soumises à ce prix plafond », avait alors fait valoir le gouvernement français.
Or, selon une étude que vient d’évoquer l’agence de presse Bloomberg, il s’avère que Moscou vend actuellement son pétrole aux alentours de 75 dollars le baril. Voir plus. Pour surmonter l’embargo européen, le Kremlin s’est tourné vers l’Inde et la Chine. En 2023, le premier a acheté pour 37 milliards de dollars de pétrole (soit 13 fois plus qu’avant le début de la guerre en Ukraine) tandis que le second a augmenté significativement ses importations (+24%), faisant ainsi de la Russie son premier fournisseur d’hydrocarbures.
Dans le même temps, pour contourner les sanctions occidentales, et ne pouvant plus compter sur les prestataires de services européens (armateurs, compagnies portuaires, assureurs…) pour acheminer son pétrole, Moscou s’appuie sur une flotte « fantôme » de pétroliers, dont la condition laisse beaucoup à désirer. De plus, ces navires naviguent sous pavillon de complaisance, sans activer leur AIS (Automatic Identification System), ce qui permet de connaître leur position, et donc de limiter les risques de collision avec d’autres navires.
Un tel système, probablement coûteux et compliqué à mettre en place, s’appuie sur une myriade de sociétés écrans d’armateurs, ce qui complique encore davantage l’identification des « vrais » propriétaires de ces navires. Selon une note du Centre d’études stratégiques de la Marine nationale (CESM), cela s’est traduit par une hausse « historique » des prix des pétroliers d’occasion de la catégorie Afframax, avec « des achats effectués par des armateurs non identifiés dans 38 % des ventes ».
Evidemment, ces navires en mauvais état, et de plus non couverts par une assurance, constituent une menace non seulement pour la navigation maritime mais aussi pour l’environnement, avec des risques de marées noires. Or, chaque semaine, 70 de ces tankers « fantômes », transportant chacun jusqu’à 100 000 tonnes de brut, transitent par la mer Baltique, après avoir chargé leur cargaison dans plusieurs ports russes, à commencer par celui de Saint-Pétersbourg. Et ce, malgré le brouillage des signaux GPS la plupart du temps dans la région. D’où l’inquiétude des pays voisins, dont la Finlande.
Le soutien au niveau 🇪🇺 apporté aux États membres dans la réponse à l’environnement marin devrait être basé sur une analyse des risques. Des risques évidents dans la région du Golfe de 🇫🇮 en raison du transport du pétrole RU avec de vieux pétroliers non occidentaux. Donc, @EMSA_EU un navire sous contrat d’intervention en cas de déversement d’hydrocarbures est également nécessaire dans le Nord #Mer Baltique. 🌊 https://t.co/Uwk5B4ybh9
–Mikko Simola (@MikkoJSimola) 29 mars 2024
Ainsi, selon Mikko Simola, chef du service de sécurité maritime des gardes-frontières finlandais, le nombre de passages de pétroliers dans le golfe de Finlande est « à peu près le même, voire supérieur, à celui d’avant l’attaque russe contre l’Ukraine ». Cela signifie qu’il existe un « risque accru d’accidents avec des conséquences sur l’environnement », a-t-il souligné auprès de l’AFP.
« Un autre facteur d’inquiétude est l’incertitude sur les propriétaires et les garanties d’assurance de ces navires », a-t-il poursuivi, avant de souligner que certains pavillons « n’avaient jamais été vus auparavant dans le nord de la Baltique ».
Cela dit, il n’existe pour l’instant aucune solution efficace pour lutter contre ces « flottes fantômes » (qui ne sont pas la seule faute de la Russie). Le CESM en a donné les raisons dans sa récente note. Le premier est la difficulté d’identifier formellement les navires concernés, étant donné qu’ils changent régulièrement de nom, de propriétaire et de pavillon. D’autant qu’environ 1900 bateaux sont soupçonnés de se livrer à ce commerce. Ensuite, le cadre juridique ne s’y prête pas forcément, surtout lorsque les transactions concernent des pays qui n’ont pas adhéré aux sanctions prises contre la Russie.
« En 2023, près d’un quart des importations chinoises de pétrole provenaient de Russie, du Venezuela et d’Iran. Ces importations ont été réalisées par de petites raffineries, surnommées théières, qui ont très peu de liens avec le système financier international et sont donc peu vulnérables aux sanctions américaines et européennes. Un autre exemple est celui de l’armateur émirati Sun Ship Management, qui a racheté près d’une centaine de pétroliers à la flotte russe Sovcomflot et les utilise pour transporter du pétrole russe sous différents pavillons, malgré les sanctions. ainsi a expliqué le CESM.
Une solution possible serait de fermer les détroits aux navires ne disposant pas d’assurance « référencée ». Le Danemark envisagerait de prendre une telle mesure pour l’Øresund, qui fermerait de facto l’accès à la Baltique aux pétroliers « fantômes ». Mais cela soulève d’autres questions juridiques, la Convention de Copenhague de 1857 ayant fait des détroits danois des « eaux internationales ouvertes à la navigation » tant commerciale que militaire.
Photo : Agence européenne pour la sécurité maritime