Nouvelles locales

La fleur de l’âge

Dans la banlieue parisienne où j’habite, nous n’avons pas de librairie. Et quand il s’agit de cafés où se retrouver, ce n’est pas non plus la panacée. Selon l’adage selon lequel on n’est jamais mieux servi que par soi-même, nous sommes un petit groupe de résidents qui avons décidé de créer ce lieu qui nous manquait. Quelques mois plus tard, nous avons ouvert un café communautaire/librairie d’occasion en plein centre-ville. Le lieu est géré par des bénévoles qui y sont en poste. Le soir, des soirées poésie, des débats, des cours de danse ou encore des Happy Saturdays y sont programmés : un pianiste joue sur demande des chansons que les clients chantent dans le micro. Une sorte de karaoké « live » témoignant de l’éclectisme de nos habitués, puisque nous chantons à la fois des chants communards et Ma philosophie par Amel Bent.

Mais plus que la variété des goûts musicaux – rassurez-vous, Joe Dassin tient toujours la corde – ce qui me frappe, ce sont les liens qui se sont créés entre la soixantaine de bénévoles qui animent les lieux. Et le fait que l’âge de chacun n’a absolument aucune importance. J’y ai pensé en voyant Nicole, soixante-dix sources et quelques fleurs, bavarder, après deux heures du matin, avec mes amis lors d’une soirée chez moi. Ou encore d’entendre Marc, un autre cadre de l’association, paniquer à l’idée d’arriver en retard pour l’anniversaire d’Emma et Isabelle, deux autres bénévoles qui n’ont même pas la trentaine.

Parfois, les frontières du temps deviennent floues. Comme quand je viens pleurnicher au café pour me plaindre à Nicole parce que ma sciatique me fait mal. Nicole, qui, la veille au soir, lors du cours d’initiation au hustle – une danse qui se pratique sur de la musique disco –, a fait preuve, en terme d’endurance, des quadragénaires présents. Au fil des années, et tandis que la fatigue du quotidien me fait ressembler de plus en plus à une petite pomme de terre ratatinée, je vois Marc rajeunir et son sourire s’agrandir de semaine en semaine. J’en tire deux conclusions : 1/ Dorian Gray vit en Seine-Saint-Denis. 2/ Nous ne sommes pas égaux face aux effets du bénévolat sur notre apparence physique.

Il arrive parfois que nous ayons le même âge. Quand, avec Marc, nous nous plaignons ensemble de la programmation du cinéma non loin de chez nous, que nous trouvions meilleure avant. Ou qu’on évoque Le gagnant, ce film que j’aime tant et que je viens de revoir à la Cinémathèque. À d’autres moments, chacun retrouve la place que nous assignent nos générations, celle qui fait que je pourrais être leur fille.

Nicole me donne le numéro de son ostéopathe, histoire que je ne laisse pas traîner cette foutue sciatique. Marc me raconte son passé de galeriste à Saint-Germain-des-Prés et me parle de l’édition des poèmes de Prévert illustrés par Jean-Michel Folon qu’il m’a réservé spécialement. Si Einstein était capable de démontrer que le temps est une notion relative, je me dis que, s’il franchissait la porte de notre café, il verrait que l’âge est tout aussi relatif.

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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