La fin du flygskam ? Les gens n’ont plus honte de prendre l’avion
Il y a cinq ans, nous évoquions ici l’émergence en Suède d’un sentiment appelé « flygskam ». Composé de six consonnes et de deux voyelles, il désignait la « honte de prendre l’avion » que ressentaient de plus en plus de Suédois, conscients de l’impact du trafic aérien sur le réchauffement climatique.
Appelé « flightshame » en anglais ou « avihonte » en français (bien que l’expression soit rarement utilisée au pays d’Air France), le phénomène, qui ne se limitait pas à la Scandinavie, incitait la population à éviter les aéroports et à privilégier le train pour leurs déplacements touristiques.
En 2018, Greta Thunberg, une militante écologiste suédoise de 16 ans, a publié un selfie depuis une borne de recharge pour véhicules électriques sous le hashtag #jagstannarpåmarken (« Je reste ancrée »). Un an plus tard, la désormais célèbre militante écologiste a navigué de Pymouth à New York sur un voilier zéro carbone pour assister à un sommet des Nations Unies sur le climat.
Malgré le réchauffement climatique, le trafic aérien se porte bien
Mais c’était avant.
Défiant tous les pronostics, le Covid et la crise sanitaire ont rebattu les cartes. Après le temps des confinements et des restrictions de voyage, les touristes libérés semblent désormais plus que jamais déterminés à parcourir la planète. Quitte à prendre l’avion comme on prendrait le bus, poussés dans leur démarche par les opérations commerciales toujours plus spectaculaires des compagnies low cost.
Selon les données du secteur aérien, détaille The Guardian, le trafic de passagers dans les aéroports européens au premier semestre 2024 a atteint les niveaux d’avant la pandémie, tiré notamment par l’augmentation des voyages d’agrément et des vacances en famille.
4,96 milliards de voyageurs sont attendus dans les aéroports d’ici la fin de l’année, ajoute Usbek&Rica. Un record, qui, selon les prévisions, pourrait d’ailleurs doubler d’ici 2050. L’appétit de voyage post-Covid semble donc peser davantage sur l’environnement que sur les consciences.
« La honte de voler est morte »
Stefan Gössling, chercheur à l’université de Lund spécialisé dans le tourisme et le changement climatique, résume la situation :
La honte de prendre l’avion est morte. Ce qui l’a tuée, c’est en partie parce que les gouvernements ont promis de lutter contre le changement climatique… Mais on ne peut pas maintenir cette dynamique si les gens ne comprennent plus qu’ils doivent lutter eux-mêmes contre ce phénomène.
Les compagnies aériennes ont en effet déployé ces dernières années des politiques de compensation carbone. Si l’outil permet de lever des fonds pour la protection du climat, il peut aussi apparaître aux yeux des passagers comme une solution pour voler sans culpabilité. Taylor Swift, dont les actions sont scrutées par des millions de fans, n’hésite pas à utiliser cette pratique pour compenser les nombreux vols de sa tournée.
Mais les scientifiques ont constaté à maintes reprises que ce marché de la rémunération est entaché de nombreuses failles. Et les tribunaux prennent régulièrement des mesures répressives contre les compagnies aériennes qui assaisonnent leurs campagnes publicitaires avec de la sauce greenwashing.
L’avion, un moyen de transport réservé aux plus riches
Le secteur du tourisme est responsable de 8 % des émissions de gaz à effet de serre. Au lieu de diminuer, cette empreinte carbone risque de s’accroître, conclut The Guardian, à mesure que de plus en plus de pays atteignent le niveau de richesse des Européens et des Américains du Nord.
En effet, ce sont les populations les plus aisées qui prennent le plus souvent l’avion, même dans les pays riches. Au Royaume-Uni, par exemple, 15 % de la population prend 70 % des vols, alors qu’environ la moitié de la population ne prend pas l’avion du tout au cours d’une année donnée.
Enfin, à l’échelle mondiale, les chercheurs estiment que moins de 5 % de la population prend un vol international chaque année. Enfin, le trafic de jets privés continue de dominer le podium des pollueurs. De quoi décourager le reste de la population, lui donnant l’impression que son effort personnel ne pèsera pas très lourd dans la lutte contre le réchauffement climatique.
GrP1