«Nous n’avons pas été tendres»
par Sylvie Gracia
L’Iconoclaste, 230 pages, 20,90 €
« Votre pays est magnifique » » dit-on souvent à Hélène, lorsque ses interlocuteurs entendent son accent âpre et rocailleux. Le beau pays, c’est l’Aveyron. Cet accent, la seule trace qu’elle voulait garder de ses origines. Cependant, qu’est-ce que « cette laisse » qui, chaque été, la ramène sur ses terres « comme un chien dans sa niche d’origine » ? Le lecteur le comprend dès les premières pages de ce beau roman : Hélène s’occupe de son père vieillissant, venu passer ses vacances dans la maison familiale.
Cet été ne ressemble à aucun autre. La masure a été réaménagée par le frère d’Hélène, qui vient d’en hériter par avance. Cet été sera peut-être le dernier passé ici. D’ailleurs, le lieu est tellement méconnaissable qu’en entrant dans ce qui était jusqu’alors sa chambre, le père, Évariste, a poussé un « grand cri d’un animal blessé ». Les photos ont disparu, les livres ont été jetés. « La maison ne respirait plus rien. Des odeurs suspectes de peinture et de plâtre flottaient partout. »
Dans ces pages écrites de manière organique, d’où s’échappent les insectes, la poussière et la fraîcheur de l’humus, Sylvie Gracia raconte l’intimité fragile entre un père et sa fille. Il s’agit d’affection inconditionnelle, d’inquiétude latente, mais aussi de petits désagréments. Parce que » au lac « dans ce pays natal où elle progresse désormais » aveuglement « , Hélène revient à sa condition d’enfance. La quinquagénaire fait carrière à Paris, se marie, a deux enfants, divorce, mais redevient pendant quelques jours une fille, une sœur, émue par « envie, jalousie, rivalité ».
Un jour, au marché, elle rencontre Patrick, un ancien amant. Depuis lors, Nous n’étions pas tendres décrit deux mouvements parallèles et contraires : celui descendant d’Évariste, qui semble se rapprocher lentement de sa fin. Celle, ascendante, d’Hélène, dont la vie trouve un nouvel élan. » CONTRE’c’était l’époque de nos 20 ans qui revenaient »savoure son caractère, à chaque rencontre avec le nouvel amant.
Mais entre-temps, Hélène et Patrick ont vieilli, mûri, enduré des épreuves. Et si c’était en se préparant à dire au revoir à son père, en s’affranchissant de son enfance tout en se réappropriant les lieux qui l’ont façonnée, qu’Hélène allait conquérir une nouvelle forme de liberté ? Comme il est délicat de grandir et de se réconcilier avec soi-même. Une mue parlait d’une plume raffinée et végétale.
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